Nous répondrons donc, puisqu’il le faut.
La réponse, Messieurs les juges, sera brève,
comme écrivait François Coppée; ce qui rimait à Grève.
Nous n’avons rien inventé du tout, et nous citons nos autorités (1).
« Je reçois, ce matin, une circulaire qui m’a comblé d’é tonnement. D étonnement et de satisfaction. Une jeune revue d’art et de littérature a formé le projet et pris l’initiative d’élever à Paris, en plein Paris moderne, automobiliste et cinématographique, un monument à — je vous le donne en mille — un monument à Homère! »
La revue s’appelle lsis de son petit nom. D étonnement et de satisfaction elle sut combler M. .1. Claretie ; que dis-je? L’en accabler. Entre nous, il y avait de quoi.
Cette revue existe; elle est connue de ses abonnés. Nous ne l’avons pas inventée. Elle sait que nous avons tous contracté unodette de reconnaissance à l’antiquité grecque et à Homère; elle sait que l’on s’enrichit en payant ses dettes, même de reconnaissance, avec toute la piété nécessaire.
Homère était aveugle, disent les uns; ce qui ne serait pas une difficulté pour le sculpteur. Il n’a pas existé, disent les autres, ce qui serait infiniment plus gênant.
Nous possédons, il est vrai, un marbre antique auquel on a attribué son nom. Si l’intention du sculpteur grec a été réellement de représenter l’aède vénérable, il est évident que le portrait aété fait de chic-,ce n’est pas un authentiquedocument.il
est vrai que nos sculpteurs savent se contenter de peu, en fait de ressemblance ; de moins encore, au besoin, c’est-à-dire de rien.
Mais est-il bien sûr que, rencontrant, en des fouilles, une tête d’homme aveugle, on ne se soit pas contenté jadis de l’at
tribuer à Homère, uniquement à cause de sa cécité? Ce n est pas improbable.
En tout cas, Isis n’en donnait pas moins un excellent exemple aux Comités qui proposent et disposent les monuments glorificateurs. Elle a compris qu’il est bon d’attendre au moins trois mille ans, pour que la postérité se croie en plein droit de consacrer le génie définitif.
Si cette règle était observée, comme elle devrait l être, nos jardins, parcs, avenues et carrefours seraient moins encom
brés; et les chefs-d’œuvre dont nous les décorons auraient un prestige moins discuté.
Mais quel est le Comité qui consentirait à attendre trois mille ans ?
Quel est le grand homme contemporain et déjà statufié par nous dont on parlera encore dans trois mille ans?
P. PLANAT.
Une étude, piquante et fort originale, vient d’être publiée sous les auspices de la société d Art, populaire et d’IIygiène,
sons le titre : a L’Architecture telle qu’elle est. » L’auteur de cette brochure, M. Adolphe Dervaux, architecte, a divisé son travail en cinq chapitres, dans lesquels, après quelques consi
dérations générales sur l’architecture, l’emploi des divers matériaux est successivement examiné, les différentes catégories d’édifices sont tour à tour critiquées, et les prix de
(1) Cf. Jules Claretie, Op. omn., passim. et la Vie à Paris, J avril 1908, la 8 du 2.
revient de la construction moderne font l objet, de remarques sévères toujours, mais judicieuses souvent.
L’architecte flagelle durement « cette vieille gueuse qui a nom Routine »; il n’épargne pas davantage les innovations du style moderne, qu il traite de canailles et qualifie d arrogantes. II ne ménage pas ses critiques à l architecture contemporaine, dont, à son avis, l unique préoccupation est l’initia
tion des styles et des matériaux. Le constructeur moderne manque de franchise; il n’a plus, aujourd’hui, le courage de son
opinion et, de ses gestes, il cache constamment et dissimule toujours les produits qu il emploie, il s’ingénie enfin à défi
gurer les matériaux sous un masque ridicule et souvent nui
sible. Telle est l’opinion de l auteur, qui juge que tout le mal de cette situation vient de ce que « l’esprit bourgeois se fait servir à son niveau par ses salariés, les artistes ».
L auteur se montre sévère pour les architectes académiques qu’il voit, après avoir été instruits dans le culte exclusif des styles classiques, peuplant les villes d’édifices
publics peu en rapport avec leur destination, donnant, par exemple, aux municipalités modernes des hôtels de ville conformes auxbesoins des peuples disparus, et construisant les immeubles à loyer en utilisant, sans y introduire autre chose,
le classicisme appris à l’Ecole. Quand il s’agit d une gare de chemin de fer, l’architecte, remarque l’auteur, est souvent tra
cassé dans son œuvre par les ingénieurs; aussi fait-il encore plus mauvais et la plupart des gares sont-elles ridicules, car les ingénieurs « ont suivi, dans leur jeunesse, le déplorable cours d’architecture de leurs écoles ».
Laissons la parole à M. Adolphe Dervaux dont nous nous sommes contenté d analyser, jusqu’ici, les critiques sans les commenter. Il voudrait que « chaque commune, située sur « une voie ferrée, puisse posséder un monument, qui, répon« dant aux besoins de l’exploitation, serait vraiment adéquat « au climat, aux mœurs, aux matériaux, aux modes de cons« truire locaux. Sur la terre, où des milliers d églises sont « déjà bâties, quelle efflorescence nouvelle de beauté surgi« rait, si, grâce aux chemins de fer, représentatifs de notre
« civilisation, se retrouvait le charme perdu des temples, sym« bole des civilisations mortes »!
Il s’en prend ensuite aux mairies provinciales, auxquelles il reproche de ressembler toutes à un modèle unique, cal
qué sur le nouvel Hôtel de Ville de Paris; aux théâtres, qui sont les reproductions d un même type, car, « depuis 1878, c’est l Opéra de Garnier qu’on réclame sur les places de la Comédie de nos sous-préfectures »; aux bureaux de poste de province, où « le public est incommodé et où les fonctionnaires perdent la vue et la santé ». Les bâtiments universi taires, les casernes et tous les édifices publics reçoivent, à tour de rôle, leur coup de boutoir. Rien n est bon, tout est mauvais. M. Adolphe Dervaux est dur pour ses confrères.
Quant à la maison de rapport, elle n’est, pas épargnée non plus, et l’architecte d’affaires est aussi malmené que l’architecte académique. Ce livre très spirituel nous montre l’architecture non pas telle qu’elle est, mais telle qu’il la voit. Cer
taines critiques sont certes fondées; mais beaucoup d’autres exagèrent certaines situations et ne tiennent pas compte de nombreux efforts, particulièrement louables, faits depuis plusieurs années déjà. Nous pourrions citer quantité d’édi
fices publics qui font le plus grand honneur à leurs au
teurs,des immeubles de rapport qui constituent des innovationssérieuses, des maisons à bon marché qui sont de véritables chefs-d’œuvre. Il suffit, d’ailleurs, de feuilleter
La réponse, Messieurs les juges, sera brève,
comme écrivait François Coppée; ce qui rimait à Grève.
Nous n’avons rien inventé du tout, et nous citons nos autorités (1).
« Je reçois, ce matin, une circulaire qui m’a comblé d’é tonnement. D étonnement et de satisfaction. Une jeune revue d’art et de littérature a formé le projet et pris l’initiative d’élever à Paris, en plein Paris moderne, automobiliste et cinématographique, un monument à — je vous le donne en mille — un monument à Homère! »
La revue s’appelle lsis de son petit nom. D étonnement et de satisfaction elle sut combler M. .1. Claretie ; que dis-je? L’en accabler. Entre nous, il y avait de quoi.
Cette revue existe; elle est connue de ses abonnés. Nous ne l’avons pas inventée. Elle sait que nous avons tous contracté unodette de reconnaissance à l’antiquité grecque et à Homère; elle sait que l’on s’enrichit en payant ses dettes, même de reconnaissance, avec toute la piété nécessaire.
Homère était aveugle, disent les uns; ce qui ne serait pas une difficulté pour le sculpteur. Il n’a pas existé, disent les autres, ce qui serait infiniment plus gênant.
Nous possédons, il est vrai, un marbre antique auquel on a attribué son nom. Si l’intention du sculpteur grec a été réellement de représenter l’aède vénérable, il est évident que le portrait aété fait de chic-,ce n’est pas un authentiquedocument.il
est vrai que nos sculpteurs savent se contenter de peu, en fait de ressemblance ; de moins encore, au besoin, c’est-à-dire de rien.
Mais est-il bien sûr que, rencontrant, en des fouilles, une tête d’homme aveugle, on ne se soit pas contenté jadis de l’at
tribuer à Homère, uniquement à cause de sa cécité? Ce n est pas improbable.
En tout cas, Isis n’en donnait pas moins un excellent exemple aux Comités qui proposent et disposent les monuments glorificateurs. Elle a compris qu’il est bon d’attendre au moins trois mille ans, pour que la postérité se croie en plein droit de consacrer le génie définitif.
Si cette règle était observée, comme elle devrait l être, nos jardins, parcs, avenues et carrefours seraient moins encom
brés; et les chefs-d’œuvre dont nous les décorons auraient un prestige moins discuté.
Mais quel est le Comité qui consentirait à attendre trois mille ans ?
Quel est le grand homme contemporain et déjà statufié par nous dont on parlera encore dans trois mille ans?
P. PLANAT.
L’ARCHITECTURE
TELLE QU’ELLE EST
Une étude, piquante et fort originale, vient d’être publiée sous les auspices de la société d Art, populaire et d’IIygiène,
sons le titre : a L’Architecture telle qu’elle est. » L’auteur de cette brochure, M. Adolphe Dervaux, architecte, a divisé son travail en cinq chapitres, dans lesquels, après quelques consi
dérations générales sur l’architecture, l’emploi des divers matériaux est successivement examiné, les différentes catégories d’édifices sont tour à tour critiquées, et les prix de
(1) Cf. Jules Claretie, Op. omn., passim. et la Vie à Paris, J avril 1908, la 8 du 2.
revient de la construction moderne font l objet, de remarques sévères toujours, mais judicieuses souvent.
L’architecte flagelle durement « cette vieille gueuse qui a nom Routine »; il n’épargne pas davantage les innovations du style moderne, qu il traite de canailles et qualifie d arrogantes. II ne ménage pas ses critiques à l architecture contemporaine, dont, à son avis, l unique préoccupation est l’initia
tion des styles et des matériaux. Le constructeur moderne manque de franchise; il n’a plus, aujourd’hui, le courage de son
opinion et, de ses gestes, il cache constamment et dissimule toujours les produits qu il emploie, il s’ingénie enfin à défi
gurer les matériaux sous un masque ridicule et souvent nui
sible. Telle est l’opinion de l auteur, qui juge que tout le mal de cette situation vient de ce que « l’esprit bourgeois se fait servir à son niveau par ses salariés, les artistes ».
L auteur se montre sévère pour les architectes académiques qu’il voit, après avoir été instruits dans le culte exclusif des styles classiques, peuplant les villes d’édifices
publics peu en rapport avec leur destination, donnant, par exemple, aux municipalités modernes des hôtels de ville conformes auxbesoins des peuples disparus, et construisant les immeubles à loyer en utilisant, sans y introduire autre chose,
le classicisme appris à l’Ecole. Quand il s’agit d une gare de chemin de fer, l’architecte, remarque l’auteur, est souvent tra
cassé dans son œuvre par les ingénieurs; aussi fait-il encore plus mauvais et la plupart des gares sont-elles ridicules, car les ingénieurs « ont suivi, dans leur jeunesse, le déplorable cours d’architecture de leurs écoles ».
Laissons la parole à M. Adolphe Dervaux dont nous nous sommes contenté d analyser, jusqu’ici, les critiques sans les commenter. Il voudrait que « chaque commune, située sur « une voie ferrée, puisse posséder un monument, qui, répon« dant aux besoins de l’exploitation, serait vraiment adéquat « au climat, aux mœurs, aux matériaux, aux modes de cons« truire locaux. Sur la terre, où des milliers d églises sont « déjà bâties, quelle efflorescence nouvelle de beauté surgi« rait, si, grâce aux chemins de fer, représentatifs de notre
« civilisation, se retrouvait le charme perdu des temples, sym« bole des civilisations mortes »!
Il s’en prend ensuite aux mairies provinciales, auxquelles il reproche de ressembler toutes à un modèle unique, cal
qué sur le nouvel Hôtel de Ville de Paris; aux théâtres, qui sont les reproductions d un même type, car, « depuis 1878, c’est l Opéra de Garnier qu’on réclame sur les places de la Comédie de nos sous-préfectures »; aux bureaux de poste de province, où « le public est incommodé et où les fonctionnaires perdent la vue et la santé ». Les bâtiments universi taires, les casernes et tous les édifices publics reçoivent, à tour de rôle, leur coup de boutoir. Rien n est bon, tout est mauvais. M. Adolphe Dervaux est dur pour ses confrères.
Quant à la maison de rapport, elle n’est, pas épargnée non plus, et l’architecte d’affaires est aussi malmené que l’architecte académique. Ce livre très spirituel nous montre l’architecture non pas telle qu’elle est, mais telle qu’il la voit. Cer
taines critiques sont certes fondées; mais beaucoup d’autres exagèrent certaines situations et ne tiennent pas compte de nombreux efforts, particulièrement louables, faits depuis plusieurs années déjà. Nous pourrions citer quantité d’édi
fices publics qui font le plus grand honneur à leurs au
teurs,des immeubles de rapport qui constituent des innovationssérieuses, des maisons à bon marché qui sont de véritables chefs-d’œuvre. Il suffit, d’ailleurs, de feuilleter