5 Septembre 1908
LA CONSTRUCTION MODERNE


ACTUALITÉS


LA QUESTION DU CHAPEAU
Qu’on se rassure : nous ne parlerons pas du chapeau des dames, qui rivalise actuellement avec le parasol cochinchinois, étant devenu une véritable toiture, une tente abri; ou dont a fait le modèle de ces champignons colosses qu’on voit apparaître dans les féeries. Le moment serait pourtant favorable, ne fût-ce que pour signaler, dans le nouveau règle
ment des théâtres, l’article qui va porter un coup terrible à ce chef-d’œuvre de l’art; si français de la modiste, art qui puise aujourd hui ses inspirations en Amérique ou en Angleterre.
Le sujet que nous devons traiter est infiniment plus grave. Il nous montrera les immenses services que peut rendre, à la Science comme à l’Art, l érudition moderne qui sait si habile
ment fouiller les bibliothèques où sont disposées les chartes du passé, les archives poudreuses des notaires, les manuscrits et les vieux papiers échappés à d’autres destinations. Déjà cette érudition avait produit des merveilles, car elle rétablit les dates où un grand artiste, un savant illustre avait fait
baptiser son premier né, et dans quelle paroisse. Elle a aussi retrouvé les inventaires de son mobilier après décès, etc., etc.
Evidemment on complète merveilleusement, de cette façon, la physionomie d un personnage considérable ; on entre dans
son intimité; après quoi l on est bien mieux armé qu’auparavant pour comprendre, apprécier les qualités de son œuvre.
Mais cette érudition vient de se surpasser elle-même. C’est l’histoire du chapeau de Cuvier qui va nous en offrir la preuve; et elle est d’autant plus intéressante qu’elle met en jeu l’His
toire naturelle conjointement à l’Esthétique des formes et des lignes adoptées jadis par la chapellerie, art mineur, mais bien intéressant.
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L’autre jour, nous lisions donc chez un de nos grands confrères l’entrefilet suivant :
« Cuvier n’avait certainement point prévu, lorsqu’il édicta 23° Année N° 49.
sa fameuse « loi de la corrélation des formes », qu un beau jour de 1908, les règles qu’il avait établies pour la classifica
tion en histoire naturelle serviraient à l’identification de l’un de ses chapeaux.
« Le grand naturaliste reconstitua la structure de certains fossiles à l’aide d’une dent et d’une vertèbre de ces animaux; ses successeurs du Muséum, ayant retrouvé dans les greniers
du Jardin des Plantes un vieux chapeau haut de forme du temps de Louis XVIII, et connaissant d’ailleurs les dimensions précises du crâne de l’illustre savant, n’ont point hésité à déclarer que ce couvre-chef avait servi de coiffure à Cuvier. »
Comme nous avons la déplorable habitude de toujours discuter les propositions émises par les écrivains que nous citons, nous présenterons ici encore quelques observations, bien
que nous reconnaissions l’exactitude du principe sur lequel s’appuie le journaliste.
Tout le monde connaît la légende de la dent et de la vertèbre. Elle a toujours été admise sans le moindre conteste: Cuvier était un si grand savant qu’un pareil tour de force ne parais
sait nullement extraordinaire. Hé bien! dût notre critique nous attirer une avalanche de démonstrations rigoureuses émanées de l’Académie des Sciences elle-même ou du Muséum, nous persistons à croire que, de génération en génération, on a eu quelque tort d’admettre cette anecdote sans supposer un seul instant qu’elle recélait peut-être, dès l origine, quelque large part d’exagération.
Certainement, Cuvier était de taille à reconnaître facilement qu’une dent, à lui présentée, était celle d un animal carnivore
ou herbivore; il n’est pas nécessaire d’être académicien ou directeur du Muséum pour s’en apercevoir ; beaucoup de gens, et des moindres, en feraient tout autant.
Que le grand savant ait conclu de là que l’animal préhistorique qui nous avait légué ce souvenir devait avoir l’estomac fait comme ceux des carnivores ou des ruminants, il n’yaurait