19 Septembre 1908
LA CONSTRUCTION MODERNE


ACTUALITÉS


PREMIÈRES PIERRES
Nous lisions dernièrement, dans la série d articles intitulés : Fantaisies parisiennes, de curieuses remarques sur le sort actuel des [moellons ou parpaings qui firent; jadis figure de premières pierres en des solennités commémoratives.
Ces articles sont signés: Palémon, pseudonyme évidemment maritime, puisque ce personnage préhistorique apparte
nait à la marine plus ou moins olympienne du temps. Il n est pas des plus connus; certains le disent fils d Amphytrite, peut-être de Neptune lui-même, à moins qu’il ne lût son neveu, ou son parent à un degré éloigné. Nous avouons n’être pas bien fixés sur son authentique généalogie; ni sur le mys
tère que recouvre le pseudonyme. Il n’importe : la plupart des Fantaisies sont fort spirituelles, et c est l’important.
***
Palémon rendait donc, ce jour-là, pleine justice aux cambrioleurs, nos contemporains. Nous avons constaté avec le plus grand plaisir que, comme nous-mêmes, il fait grand cas
de leur ingéniosité, de l’élégance qu’ils ont mise dans leurs procédés perfectionnés, du goût, très sûr qui guide tous leurs choix. Il va même jusqu à leur attribuer ce qu’il appelle : « une érudition archéologique très nourrie ; bref des qualités et des mérites que l’on voudrait rencontrer chez beaucoup de nos conservateurs adjoints ».
Cependant ceux-ci possèdent déjà une fort jolie érudition, cela est bien certain, et il faut le reconnaître; mais elle n’est pas assez impeccable pour que ces adjoints puissent se ris
quer, en toute confiance, jusqu’à embrasser la carrière si diflicile du cambriolage. Car celui-ci ne permet pas la moindre erreur d’attribution. Voit-on dans quelle ridicule situation se placerait, vis-à-vis du public et de ses confrères, l’ignorant
23“ Année N° 51.
qui se serait permis de ravir, à l’un de nos musées, une tiare par exemple?
Chacun son métier, et les tiares seront bien gardées. Aussi, — admirant très sincèrement la profonde érudition des artistescambrioleurs qui savent découvrir, un peu partout, les véri
tables trésors de notre archéologie, — Palémon est-il amené à s’écrier : « Niera-t-on encore les bienfaits de la diffusion de l’instruction ? »
*
* *
Enthousiasmé il signale un nouveau progrès accompli dans cet art si délicat et si difficile. Il paraît qu’au fond de l’Autriche-IIongrie un hardi novateur vient de ravir, à IschI, la première pierre du monument que posait, il y a peu de temps, l empereur François-Joseph lui-même.
Le cas est particulièrement intéressant par les difficultés toutes particulières qu’offrait l opération. Est-il absolument nouveau ?
Vers le même jour à peu près, un concurrent dérobait, de son côté, l’acte de naissance de Goethe, poète illustre. Si
jamais est discutée la question de priorité, il faudra donc tenir compte du précédent ainsi créé en Allemagne; et nous ne serions pas trop étonnés si cette dernière tenait absolument à s’assurer cette supériorité de plus. Toutefois, nous ne con
sidérons pas cet enlèvement comme un véritable coup de maître; ravir un simple papier n est pas très difficile. Il suf
fit là-bas de s’habiller en uniforme de capitaine, ainsi qu’on l’a vu, et de prendre un ton péremptoire pour extraire tout ce qu’on veut.
Ensuite quelle valeur peut avoir cet autographe d’un simple greffier? Les autographes, même intéressants, ne sont pas très haut cotés dans le monde de la curiosité.
Là, comme ailleurs, le faux règne en maître; aussi le bruit
a-t-il aussitôt couru que l’acte en question n’est qu’une copie,