29 OCTOBRE 1904
LA CONSTRUCTION MODERNE
RESTAURATIONS ET RESTITUTIONS
Trouvera-t-on que nous revenons trop souvent sur ce sujet? Le reproche serait mal placé; car il est peu de ques
tions aussi importantes en ce moment que celle-là. Il est certain que, dans l esprit qui préside à l entretien do nos monuments historiques, de nos édifices diocésains, etc., un revirement complet s est produit depuis quelques années. Or, il importe beaucoup aux architectes de savoir exac
tement dans quel sens ils doivent conduire leurs travaux, dans quelles limites ils doivent se tenir, pour ne pas heurter de front les idées prédominantes actuellement.
Récemment, nous avons été contraints de protester contre l’opinion, selon nous exagérée, que M. A. Hallays présentait dans les Débats. Il paraît qu’un architecte — dont nous regrettons que le nom ne soit pas communique aux lecteurs — vient d’adresser à l’écrivain une lettre dans laquelle il formule les mêmes objections et les mêmes protestations.
Très loyalement, M. Ilallays les soumet au public en les discutant, cela va de soi, mais sans les atténuer.
Ceci l’amène à mieux préciser ses propres critiques. De ces éclaircissements il pourrait bien résulter que finalement tout le monde tombera à peu près d’accord. Ce résultat serait d’autant plus souhaitable qu’on en pourrait alors conclure que tout le monde, au fond, avait raison.
Le correspondant commence donc par reconnaître que la tendance moderne (qui était au moins celled hier et n’est déjà plus celle d’aujourd’hui), que la tendance à reconstituer les bâtiments ruinés est tout à fait fâcheuse. Il estime que la postérité ne nous saura aucun gré du travail ainsi accompli ni des sommes dépensées.
Je suis persuadé, dit-il, que nos descendants jugeront tout cela très sévèrement et qu’ils déploreront la perte de ruines authentiques à la place desquelles ils ne trouveront que des créations modernes discutables de toutes façons.
C’est, on le voit, faire la partie belle à M. Hallays; on lui
rend dix points d’avance. Seulement, cette concession une fois faite et très largement faite, il faut s’entendre exactement sur la différence qu’il convient d’établir entre une restitution telle que la comprenait Viollet-le-Duc, et une simple restauration.
La distinction est nécessaire en effet, car c’est elle qui doit limiter le débat et le maintenir sur son véritable terrain.
Aussi reproche-t-il à cette même critique d’être allée beaucoup trop loin, lorsqu’elle posait ce principe absolu : Tout monument restauré est un monument détruit.
M. Hallays aurait pu dire : Tout monument soumis à ce qu’on appelait jadis une restitution, était un monument transformé presque de fond en comble; par conséquent, on
est effectivement en droit de dire que sa forme primitive a presque totalement disparu pour faire place à une autre. En ce sens elle est détruite.
Une restauration, limitée au strict nécessaire pour la conservation de l’édifice, est tout le contraire et a des conséquences toutes différentes : et c’est pourquoi l’archi
tecte a tout à fait raison de faire remarquer qu’il eût fallu dire : un monument restitué (et non restauré) est un monument détruit.
*
Et, en effet, remarque t-il, quels sont les édifices qui sont parvenus jusqu’à nous?
Précisément ceux qui ont été restaurés d’âge en âge : « N’oubliez pas, dit-il, que tous nos monuments anciens, encore debout et sous toit, tous sans exception ont été restaurés depuis des siècles; et ceux qui ne l’ont pas été sont aujourd’hui des ruines, plus ou moins bien conservées, plus ou moins pittoresques, mais des ruines. »
Contrairement aux principes qu’avait posés Viollet-le-Duc et qu’il avait soutenus avec éloquence, l’architecte va jusqu’à dire que ces restaurations, ces adjonctions successives peu
vent nuire à cette unité absolue que voulait imposer partout l’illustre archéologue; mais que, pour qui regarde sans parti
2e Série. 10e Année. N° 5.
XXe Année de la Cclieeuon.
LA CONSTRUCTION MODERNE
ACTUALITÉS
RESTAURATIONS ET RESTITUTIONS
Trouvera-t-on que nous revenons trop souvent sur ce sujet? Le reproche serait mal placé; car il est peu de ques
tions aussi importantes en ce moment que celle-là. Il est certain que, dans l esprit qui préside à l entretien do nos monuments historiques, de nos édifices diocésains, etc., un revirement complet s est produit depuis quelques années. Or, il importe beaucoup aux architectes de savoir exac
tement dans quel sens ils doivent conduire leurs travaux, dans quelles limites ils doivent se tenir, pour ne pas heurter de front les idées prédominantes actuellement.
Récemment, nous avons été contraints de protester contre l’opinion, selon nous exagérée, que M. A. Hallays présentait dans les Débats. Il paraît qu’un architecte — dont nous regrettons que le nom ne soit pas communique aux lecteurs — vient d’adresser à l’écrivain une lettre dans laquelle il formule les mêmes objections et les mêmes protestations.
Très loyalement, M. Ilallays les soumet au public en les discutant, cela va de soi, mais sans les atténuer.
Ceci l’amène à mieux préciser ses propres critiques. De ces éclaircissements il pourrait bien résulter que finalement tout le monde tombera à peu près d’accord. Ce résultat serait d’autant plus souhaitable qu’on en pourrait alors conclure que tout le monde, au fond, avait raison.
Le correspondant commence donc par reconnaître que la tendance moderne (qui était au moins celled hier et n’est déjà plus celle d’aujourd’hui), que la tendance à reconstituer les bâtiments ruinés est tout à fait fâcheuse. Il estime que la postérité ne nous saura aucun gré du travail ainsi accompli ni des sommes dépensées.
Je suis persuadé, dit-il, que nos descendants jugeront tout cela très sévèrement et qu’ils déploreront la perte de ruines authentiques à la place desquelles ils ne trouveront que des créations modernes discutables de toutes façons.
C’est, on le voit, faire la partie belle à M. Hallays; on lui
rend dix points d’avance. Seulement, cette concession une fois faite et très largement faite, il faut s’entendre exactement sur la différence qu’il convient d’établir entre une restitution telle que la comprenait Viollet-le-Duc, et une simple restauration.
La distinction est nécessaire en effet, car c’est elle qui doit limiter le débat et le maintenir sur son véritable terrain.
C’est pourquoi l’architecte qui répond à la critique des Débats a grand soin d’y insister. En quoi il a parfaitement raison.
Aussi reproche-t-il à cette même critique d’être allée beaucoup trop loin, lorsqu’elle posait ce principe absolu : Tout monument restauré est un monument détruit.
M. Hallays aurait pu dire : Tout monument soumis à ce qu’on appelait jadis une restitution, était un monument transformé presque de fond en comble; par conséquent, on
est effectivement en droit de dire que sa forme primitive a presque totalement disparu pour faire place à une autre. En ce sens elle est détruite.
Une restauration, limitée au strict nécessaire pour la conservation de l’édifice, est tout le contraire et a des conséquences toutes différentes : et c’est pourquoi l’archi
tecte a tout à fait raison de faire remarquer qu’il eût fallu dire : un monument restitué (et non restauré) est un monument détruit.
*
* *
Et, en effet, remarque t-il, quels sont les édifices qui sont parvenus jusqu’à nous?
Précisément ceux qui ont été restaurés d’âge en âge : « N’oubliez pas, dit-il, que tous nos monuments anciens, encore debout et sous toit, tous sans exception ont été restaurés depuis des siècles; et ceux qui ne l’ont pas été sont aujourd’hui des ruines, plus ou moins bien conservées, plus ou moins pittoresques, mais des ruines. »
Contrairement aux principes qu’avait posés Viollet-le-Duc et qu’il avait soutenus avec éloquence, l’architecte va jusqu’à dire que ces restaurations, ces adjonctions successives peu
vent nuire à cette unité absolue que voulait imposer partout l’illustre archéologue; mais que, pour qui regarde sans parti
2e Série. 10e Année. N° 5.
XXe Année de la Cclieeuon.