pensionnaires n’en sentiraient pas tous également le charme. L’idylle ne suffît pas toujours à cet âge insatiable. Mais enfin il demeure établi que l’élève s’éveille quand il lui plaît et n’est nullement contraint de déranger ses petites habi
tudes. Chacun en ce monde a les siennes, dit la vieille chanson, et on les respecte là-bas.
Le dormeur s’éveille donc, tôt ou tard. L’imagination s’é veille à son tour, M. Guillaume l’affirme; elle a, comme on voit, soin de suivre l’ordre chronologique :
— Après quoi, la cloche sonne pour le déjeuner, et alors commence la franche conversation des repas, où l’on
échange des propos d’art. II n’est pas de milieu plus propre à la formation intellectuelle.
Cette observation est juste. Les propos d’art, soutenus d’un repas sobre mais convenalement préparé, ont toujours été, dès la plus haute antiquité, un délicieux assaison
nement pour exciter l’appétit philosophique et artistique.
Et si l’on songe qu’ensuite sonne la cloche du dîner et que celui-ci ramène les mêmes propos, ou tout au moins des propos analogues, que pourrait-on souhaiter déplus favorable à l’éclosion des jeunes talents?
Il demeure entendu, cela va sans dire, que le travail y contribue aussi pour une large part. Si M. Guillaume n’en a pas parlé l’autre jour, c’est qu’il n’était nul besoin d’insister sur un fait aussi connu.
*
* *
On a reproché à M. Guillaume, paraît-il, — nous l’ignorions, — d’avoir accordé aux jeunes architectes une trop large part de ses soins et de son attention. M. R. Aubry le disait du moins :
— Je vous vois venir, répondit M. Guillaume, l’excellent sculpteur.. : non ; pas plus pour ceux-là que pour les autres.
Je me rends un compte exact de la faveur que rencontrent à cette heure les autres lauréats de notre Académie, c’est-à- dire les peintres et les musiciens. Oui, certes, je sais fort bien
que, lorsque la peinture va, tout va, en matière d’art. C’est la caractéristique de notre époque.
La peinture mérite donc qu’une large part lui soit faite; et cependant M. Guillaume ne put s’empêcher de regretter quelque peu les âges où le peintre n’avait pas tout absorbé,
Il est certain’que, de nos jours, la « ligne est quelque peu dédaignée ; les tachistes et les pointillistes n’en font qu’un
assez médiocre cas ; elle a dû céder la place à la tache et au pointillé qui doivent, paraît-il, nous consoler de sa retraite.
L’effervescente imagination de nos jeunes artistes a même su créer la peinture au brouillard, à la vapeur, au nuage, la peinture irisée où tout se traduit par arc-en-ciel, etc., etc.
Ce sont des effets nouveaux que l’art n’avait pas osé
aborder; l’effort n’en est que plus méritant. Mais il est certain que, si l’on arrive à peindre ainsi des images comparables à celles que la photographie spirite tire des appa
ritions de spectres dues aux médiums, la ligne devient complètement inutile. Nul ne sait, n’a besoin de savoir où ces apparitions commencent, et tout le monde ignore
* *
Quant aux musiciens, M. Guillaume s’est efforcé de les encourager en organisant des concerts. Pouvait-il chercher mieux ? Rien n’est doux à un musicien comme d’entendre ses compositions, et de constater que le public les entend éga
lement. Car il serait vraiment difficile à ce même public d’apprécier, d’une manière quelconque, des chefs-d’œuvre musicaux qui ne sont jamais exécutés.
Si M. Guillaume fut donc toujours doux et bienveillant aux jeunes artistes : peintres, sculpteurs, architectes, graveurs ou musiciens, sans distinction, et sans préférences qu’on ait à lui reprocher, il savait aussi marquer son éton
nement, agréable ou non, en présence de nouveautés quelque peu exceptionnelles ou hasardeuses que tentaient
parfois ses jeunes pensionnaires. Il ne le fit jamais qu’avec une extrême discrétion, la critique restant voilée sous une presque impénétrable ironie de bon goût.
Deux petites anecdotes suffiront pour indiquer la manière. Un élève de Gustave Moreau (Emaux et Camées!) lui montra un jour une esquisse très vaste et dont le véritable sens lui parut quelque)peu diffîcile àinterpréter. Des femmes nues s’y étageaienten pyramide jusqu’au ciel.
Le directeur, ayant contemplé en silence, avec force contention d’esprit, résuma son impression en peu de mots :
— Dieu! Comme c’est haut!... Et comme c’est grand !
L’élève parut satisfait : c’était bien l’impression qu’il avait voulu produire.
Sur le bord de la toile, en premier plan, une femme étendue (mollement) laissait orgueilleusement voir ses ongles qu’elle avait dû, comme les Chinoises, laisser longtemps pousser ;
et ces ongles, abusant de la permission, avaient cru devoir pousser en spirales.
Pourquoi? C’est ce que se demandait en vain le directeur. Aussi prit-il le parti d’interroger ; — Ciel ! qu’est ceci?
— Maître, c’est la Paresse... Les fleurs vont la couvrir, les plantes grimpantes vont l’envahir; des escargots et des limaces traîneront sur elle...
— Alors, c’est un symbole! s’écria M. Guillaume, qui parut pleinement satisfait. Qui ne l’eût été à sa place?
Mais il suggéra aussitôt qu’on aurait pu ajouter un nouvel élément symbolique, plus clair et plus facile encore à interpréter :
— Vous auriez dû lui faire pousser quelques petits poils dans la main, à cette jeune femme indolente. A Paris, vous savez, on comprendrait tout de suite.
Oui ; mais un symbole, en art, doit-il être compris tout de suite? N’y perdrait-il pas son principal charme?
A ATHÈNES
L’Université contient deux grandes cours latérales ornées de jets d’eau et entourées de péristyles. Des bosquets s’éten
tudes. Chacun en ce monde a les siennes, dit la vieille chanson, et on les respecte là-bas.
Le dormeur s’éveille donc, tôt ou tard. L’imagination s’é veille à son tour, M. Guillaume l’affirme; elle a, comme on voit, soin de suivre l’ordre chronologique :
— Après quoi, la cloche sonne pour le déjeuner, et alors commence la franche conversation des repas, où l’on
échange des propos d’art. II n’est pas de milieu plus propre à la formation intellectuelle.
Cette observation est juste. Les propos d’art, soutenus d’un repas sobre mais convenalement préparé, ont toujours été, dès la plus haute antiquité, un délicieux assaison
nement pour exciter l’appétit philosophique et artistique.
C’est ainsi que Socrate et Platon formèrent leurs meilleurs élèves.
Et si l’on songe qu’ensuite sonne la cloche du dîner et que celui-ci ramène les mêmes propos, ou tout au moins des propos analogues, que pourrait-on souhaiter déplus favorable à l’éclosion des jeunes talents?
Il demeure entendu, cela va sans dire, que le travail y contribue aussi pour une large part. Si M. Guillaume n’en a pas parlé l’autre jour, c’est qu’il n’était nul besoin d’insister sur un fait aussi connu.
*
* *
On a reproché à M. Guillaume, paraît-il, — nous l’ignorions, — d’avoir accordé aux jeunes architectes une trop large part de ses soins et de son attention. M. R. Aubry le disait du moins :
— Je vous vois venir, répondit M. Guillaume, l’excellent sculpteur.. : non ; pas plus pour ceux-là que pour les autres.
Je me rends un compte exact de la faveur que rencontrent à cette heure les autres lauréats de notre Académie, c’est-à- dire les peintres et les musiciens. Oui, certes, je sais fort bien
que, lorsque la peinture va, tout va, en matière d’art. C’est la caractéristique de notre époque.
La peinture mérite donc qu’une large part lui soit faite; et cependant M. Guillaume ne put s’empêcher de regretter quelque peu les âges où le peintre n’avait pas tout absorbé,
où l’architecture bâtissait des temples harmonieux, où la pureté de la ligne était chose essentielle...
Il est certain’que, de nos jours, la « ligne est quelque peu dédaignée ; les tachistes et les pointillistes n’en font qu’un
assez médiocre cas ; elle a dû céder la place à la tache et au pointillé qui doivent, paraît-il, nous consoler de sa retraite.
L’effervescente imagination de nos jeunes artistes a même su créer la peinture au brouillard, à la vapeur, au nuage, la peinture irisée où tout se traduit par arc-en-ciel, etc., etc.
Ce sont des effets nouveaux que l’art n’avait pas osé
aborder; l’effort n’en est que plus méritant. Mais il est certain que, si l’on arrive à peindre ainsi des images comparables à celles que la photographie spirite tire des appa
ritions de spectres dues aux médiums, la ligne devient complètement inutile. Nul ne sait, n’a besoin de savoir où ces apparitions commencent, et tout le monde ignore
où elles finissent. A quoi leur servirait un contour?
*
* *
Quant aux musiciens, M. Guillaume s’est efforcé de les encourager en organisant des concerts. Pouvait-il chercher mieux ? Rien n’est doux à un musicien comme d’entendre ses compositions, et de constater que le public les entend éga
lement. Car il serait vraiment difficile à ce même public d’apprécier, d’une manière quelconque, des chefs-d’œuvre musicaux qui ne sont jamais exécutés.
Si M. Guillaume fut donc toujours doux et bienveillant aux jeunes artistes : peintres, sculpteurs, architectes, graveurs ou musiciens, sans distinction, et sans préférences qu’on ait à lui reprocher, il savait aussi marquer son éton
nement, agréable ou non, en présence de nouveautés quelque peu exceptionnelles ou hasardeuses que tentaient
parfois ses jeunes pensionnaires. Il ne le fit jamais qu’avec une extrême discrétion, la critique restant voilée sous une presque impénétrable ironie de bon goût.
Deux petites anecdotes suffiront pour indiquer la manière. Un élève de Gustave Moreau (Emaux et Camées!) lui montra un jour une esquisse très vaste et dont le véritable sens lui parut quelque)peu diffîcile àinterpréter. Des femmes nues s’y étageaienten pyramide jusqu’au ciel.
Le directeur, ayant contemplé en silence, avec force contention d’esprit, résuma son impression en peu de mots :
— Dieu! Comme c’est haut!... Et comme c’est grand !
L’élève parut satisfait : c’était bien l’impression qu’il avait voulu produire.
Sur le bord de la toile, en premier plan, une femme étendue (mollement) laissait orgueilleusement voir ses ongles qu’elle avait dû, comme les Chinoises, laisser longtemps pousser ;
et ces ongles, abusant de la permission, avaient cru devoir pousser en spirales.
Pourquoi? C’est ce que se demandait en vain le directeur. Aussi prit-il le parti d’interroger ; — Ciel ! qu’est ceci?
— Maître, c’est la Paresse... Les fleurs vont la couvrir, les plantes grimpantes vont l’envahir; des escargots et des limaces traîneront sur elle...
— Alors, c’est un symbole! s’écria M. Guillaume, qui parut pleinement satisfait. Qui ne l’eût été à sa place?
Mais il suggéra aussitôt qu’on aurait pu ajouter un nouvel élément symbolique, plus clair et plus facile encore à interpréter :
— Vous auriez dû lui faire pousser quelques petits poils dans la main, à cette jeune femme indolente. A Paris, vous savez, on comprendrait tout de suite.
Oui ; mais un symbole, en art, doit-il être compris tout de suite? N’y perdrait-il pas son principal charme?
C’est la question. Nous la soumettons aux symbolistes,,
P. P.
L’ARCHITECTURE CONTEMPORAINE
A ATHÈNES
( Voyez page 330, XIXe année).
L’Université contient deux grandes cours latérales ornées de jets d’eau et entourées de péristyles. Des bosquets s’éten