jeunesse, on est en droit d’attendre d’elle une intelligente tolérance qui sait aller jusqu’où il convient, et s’arrêter où il est nécessaire.
Telle est évidemment l’intention de l’Académie, et il est fort bon que M. Pascal l’ait formellement exprimée.
*
* *
Evidemment il serait regrettable que T Académie consentît au laisser-aller le plus compromettant, et elle ne fait que remplir son rôle en posant les bornes qui ne doivent pas être franchies. Toute la difficulté est de les placer à la juste limite.
C’est ce que M. Pascal a dû faire entendre, après avoir concédé cette raisonnable liberté dont nous parlions tout à l’heure.
La critique d’art, une certaine critique tout au moins, a fait les frais des réserves dont l’orateur a jugé indispensable d’accompagner cette louable concession :
« La discipline nécessaire aux études, ajoutait-il, —je ne dis pas à l’Art, mais à toutes les études,—était jugée fâcheuse par beaucoup de gens de très grande bonne volonté, surtout par les critiques qui, sans préparation, traitaient de sujets relevant de la plastique ou de la science musicale par la seule vertu de la décision prise par eux de se dévouer à ce sacerdoce, comportant sans doute, comme pour tout culte, le miracle de la Révélation. »
Ces paroles sont amères pour la critique d’art ; malheureusement elles sont parfois justifiées. On a connu de ces écrivains d’art qui, de leur grâce propre, s’étaient donné pour mission de louer ou de blâmer, un peu à tort et à travers, toutes les œuvres d’art indistinctement. Leur compé
tence était universelle, ce qui est déjà admirable; mais ce qui était plus admirable encore, c’est qu ils trouvaient le moyen d’imposer leurs opinions, plus ou moins aventurées, à l’innombrable public des ignorants, en qui ils éveillaient, par leurs avis autoritaires, la prétention de s’y connaître parfaitement et de tout juger à leur tour.
La Critique est un sacerdoce, comme le dit fort bien M. Pascal; mais, comme lui, on s’étonnera qu’il soit si facile, de s’accorder à soi-même l’intronisation et de s’im
poser ses propres mains. C’est, en effet, de la Révélation miraculeuse.
*
**
Certains do ces écrivains d’art, disciples d’un romantisme quelque peu attardé, allaient jadis jusqu’à poser en principe absolu que le génie est le produit d’une génération spontanée qui naît, pousse et lleurit sans racines, sans tiges, sans feuilles ni terrain pour le nourrir. C’est un aérolithe qui tombe on ne sait d’où, sans savoir où.
La théorie est simple et l’application commode. Do même que Gorenflot baptisait carpes les chapons, on se baptisait grand homme entre amis, un beau soir, on quelque brasserie fréquentée, et lo monde était, du coup, illustré de quelques nouveaux génies.
M. Pascal l’a dit en excellents termes : « Désordre et génie, telle aurait été la devise des artistes. La discipline, même volontaire, aurait été attentatoire à cette vertu spontanée, exclusive et spéciale, qui est censée faire des artistes d’ins
tinct, sans travail, pour ne pas entraver ce génie qui se rit de toutes les règles. »
Sans contredit, l’étude persévérante, la poursuite patiente du beau ne donnent pas le génie ; elles peuvent cependant con
duire au talent, ce qui est déjà quelque chose. Mais il est également sûr que le génie, sans études et sans patience,
aboutit à l’avortement; et c’est grand dommage, car les génies sont rares, et il est regrettable qu’il s’en égare quelques-uns en route.
C’est Buffon, croyons-nous, qui disait : « Le génie n’est qu’une longue patience. » Pour le sien— qui n’est certes pas à dédaigner — l’observation était peut-être juste; mais elle n’est pas d’une exactitude rigoureusement générale. Dans le génie, il y a quelque chose de plus que la patience. Il n’en
demeure pas moins vrai que celle-ci nourrit l’autre qui ne saurait vivre de sa propre substance.
Désordre et Génie! Cette formule d’Alexandre Dumas sonne bien, cela est incontestable. Mais si le désordre est extrêmement facile à se procurer, le génie n’est pas à la portée de tout le monde, même des plus désordonnés !
*
* *
S’adressant aux jeunes artistes qui vont partir là-bas, M. Pascal les engageait donc à ne pas trop écouter ces conseils nuisibles à leurs destinées futures; à ne pas croire trop facilement que chaque génération nouvelle a pour mission de dé
blayer un passé qui n’est, pensa-t-elle, que ruines et dont rien ne mérite de subsister; d’élever, avec un parfait désordre,
un édifice tout neuf dont la fameuse maison renversée de la dernière Exposition est le symbole le plus complet; de fon
der sur des bases toutes nouvelles qu’il est original de mettre en l’air, parce que cela ne s’était jamais fait auparavant, — et pour cause.
« Ces agitations sont passagères sur le large courant de Part français dont elles rident et moirent la surface. » C’est ce qu’on en peut dire de mieux : elles sont effectivement fort éphémères, au grand profit de tout le monde et de Part en particulier. Ce sont des végétations annuelles, qui dispa
raissent à chaque automne. Le malheur est que, comme les herbes folios, elles renaissent chaque fois avec une nouvelle intensité.Rien n’est difficile à déraciner comme le chiendent.
De cette regrettable pérennité, M. Pascal ne paraissait pas se préoccuper outre mesure, l’autre jour :
« Je ne m’en émeus pas. Vivant dans la fréquentation des hommes jeunes, nous les trouvons tels qu’ils étaient alors (au temps des critiques adorateurs du désordre génial) : enflammés et généreux, portés à enseigner à leurs parents des méthodes nouvelles de procréation, mais naïfs, — naïfs autant que nous Pavons été nous-mêmes ; mais débordant de sève généreuse; indisciplinés comme leurs ancêtres, mais pour de si nobles desseins ! »
O jeunes artistes ! continuez donc, puisqu’on vous l’accorde, à être, comme vos aînés, quelque peu indisciplinés;
vous voyez quo l’Académie elle-même vous y convie parce qu’elle ne peut pas s’empêcher de regarder vos actes de juvénile indépendance avec un paternel attendrissement. Mais n en abusez pas, dans votre propre intérêt. Plus vous iriez loin dans cette voie-là, plus il vous faudrait ensuite faire de chemin, quand les exigences inéluctables de la
Telle est évidemment l’intention de l’Académie, et il est fort bon que M. Pascal l’ait formellement exprimée.
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Evidemment il serait regrettable que T Académie consentît au laisser-aller le plus compromettant, et elle ne fait que remplir son rôle en posant les bornes qui ne doivent pas être franchies. Toute la difficulté est de les placer à la juste limite.
C’est ce que M. Pascal a dû faire entendre, après avoir concédé cette raisonnable liberté dont nous parlions tout à l’heure.
La critique d’art, une certaine critique tout au moins, a fait les frais des réserves dont l’orateur a jugé indispensable d’accompagner cette louable concession :
« La discipline nécessaire aux études, ajoutait-il, —je ne dis pas à l’Art, mais à toutes les études,—était jugée fâcheuse par beaucoup de gens de très grande bonne volonté, surtout par les critiques qui, sans préparation, traitaient de sujets relevant de la plastique ou de la science musicale par la seule vertu de la décision prise par eux de se dévouer à ce sacerdoce, comportant sans doute, comme pour tout culte, le miracle de la Révélation. »
Ces paroles sont amères pour la critique d’art ; malheureusement elles sont parfois justifiées. On a connu de ces écrivains d’art qui, de leur grâce propre, s’étaient donné pour mission de louer ou de blâmer, un peu à tort et à travers, toutes les œuvres d’art indistinctement. Leur compé
tence était universelle, ce qui est déjà admirable; mais ce qui était plus admirable encore, c’est qu ils trouvaient le moyen d’imposer leurs opinions, plus ou moins aventurées, à l’innombrable public des ignorants, en qui ils éveillaient, par leurs avis autoritaires, la prétention de s’y connaître parfaitement et de tout juger à leur tour.
La Critique est un sacerdoce, comme le dit fort bien M. Pascal; mais, comme lui, on s’étonnera qu’il soit si facile, de s’accorder à soi-même l’intronisation et de s’im
poser ses propres mains. C’est, en effet, de la Révélation miraculeuse.
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Certains do ces écrivains d’art, disciples d’un romantisme quelque peu attardé, allaient jadis jusqu’à poser en principe absolu que le génie est le produit d’une génération spontanée qui naît, pousse et lleurit sans racines, sans tiges, sans feuilles ni terrain pour le nourrir. C’est un aérolithe qui tombe on ne sait d’où, sans savoir où.
La théorie est simple et l’application commode. Do même que Gorenflot baptisait carpes les chapons, on se baptisait grand homme entre amis, un beau soir, on quelque brasserie fréquentée, et lo monde était, du coup, illustré de quelques nouveaux génies.
M. Pascal l’a dit en excellents termes : « Désordre et génie, telle aurait été la devise des artistes. La discipline, même volontaire, aurait été attentatoire à cette vertu spontanée, exclusive et spéciale, qui est censée faire des artistes d’ins
tinct, sans travail, pour ne pas entraver ce génie qui se rit de toutes les règles. »
Sans contredit, l’étude persévérante, la poursuite patiente du beau ne donnent pas le génie ; elles peuvent cependant con
duire au talent, ce qui est déjà quelque chose. Mais il est également sûr que le génie, sans études et sans patience,
aboutit à l’avortement; et c’est grand dommage, car les génies sont rares, et il est regrettable qu’il s’en égare quelques-uns en route.
C’est Buffon, croyons-nous, qui disait : « Le génie n’est qu’une longue patience. » Pour le sien— qui n’est certes pas à dédaigner — l’observation était peut-être juste; mais elle n’est pas d’une exactitude rigoureusement générale. Dans le génie, il y a quelque chose de plus que la patience. Il n’en
demeure pas moins vrai que celle-ci nourrit l’autre qui ne saurait vivre de sa propre substance.
Désordre et Génie! Cette formule d’Alexandre Dumas sonne bien, cela est incontestable. Mais si le désordre est extrêmement facile à se procurer, le génie n’est pas à la portée de tout le monde, même des plus désordonnés !
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S’adressant aux jeunes artistes qui vont partir là-bas, M. Pascal les engageait donc à ne pas trop écouter ces conseils nuisibles à leurs destinées futures; à ne pas croire trop facilement que chaque génération nouvelle a pour mission de dé
blayer un passé qui n’est, pensa-t-elle, que ruines et dont rien ne mérite de subsister; d’élever, avec un parfait désordre,
un édifice tout neuf dont la fameuse maison renversée de la dernière Exposition est le symbole le plus complet; de fon
der sur des bases toutes nouvelles qu’il est original de mettre en l’air, parce que cela ne s’était jamais fait auparavant, — et pour cause.
« Ces agitations sont passagères sur le large courant de Part français dont elles rident et moirent la surface. » C’est ce qu’on en peut dire de mieux : elles sont effectivement fort éphémères, au grand profit de tout le monde et de Part en particulier. Ce sont des végétations annuelles, qui dispa
raissent à chaque automne. Le malheur est que, comme les herbes folios, elles renaissent chaque fois avec une nouvelle intensité.Rien n’est difficile à déraciner comme le chiendent.
De cette regrettable pérennité, M. Pascal ne paraissait pas se préoccuper outre mesure, l’autre jour :
« Je ne m’en émeus pas. Vivant dans la fréquentation des hommes jeunes, nous les trouvons tels qu’ils étaient alors (au temps des critiques adorateurs du désordre génial) : enflammés et généreux, portés à enseigner à leurs parents des méthodes nouvelles de procréation, mais naïfs, — naïfs autant que nous Pavons été nous-mêmes ; mais débordant de sève généreuse; indisciplinés comme leurs ancêtres, mais pour de si nobles desseins ! »
O jeunes artistes ! continuez donc, puisqu’on vous l’accorde, à être, comme vos aînés, quelque peu indisciplinés;
vous voyez quo l’Académie elle-même vous y convie parce qu’elle ne peut pas s’empêcher de regarder vos actes de juvénile indépendance avec un paternel attendrissement. Mais n en abusez pas, dans votre propre intérêt. Plus vous iriez loin dans cette voie-là, plus il vous faudrait ensuite faire de chemin, quand les exigences inéluctables de la