19 NOVEMBRE 1904
LA CONSTRUCTION MODERNE
LA SÉPARATION DES BEAUX-ARTS ET DE L’ÉTAT
M. le Dr Doyen a séparé jadis Radica et Doodica. L’opération avait parfaitement réussi, puisque l’une des victimes de la séparation n’est morte que le lendemain ; l’autre a mis plusieurs mois à achever sa carrière. Pouvait-on exiger plus?
Depuis cette célèbre opération, il n’est question que de séparer.
A litre de transaction on continue cependant à couper les poires en deux; et comme les « poires » ne manquent pas,
les personnes chargées de ce genre de travail ne manquent pas non plus d’occupation.
Une revue qui se pique d’être indépendante — c’est se piquer dans un but très louable — et qui s’intitule : les Arts de la vie, vient d’organiser une enquête sur la séparation, complète et immédiate, des Arts et de l’État.
Cette revue s’est donné un titre excellent par son étendue même, et qui lui permet de rendre des services très sérieux dans toutes les circonstances de la vie; et Dieu sait si elles sont nombreuses. Elle a donc devant elle un immense territoire à défricher : qui confine aux arts les plus nobleset pour
rait à la rigueur s’étendre jusqu’à l’Art d’élever des lapins et l’Art de dîner en ville, lesquels ne sont pas moins précieux dans le cours de l’existence, — qu ils contribuent à embellir tout autant que les premiers.
La Direction, qui comprend admirablement son temps, a donc adressé un questionnaire très précis « aux personnalités les plus autorisées de l’art, de la littérature et de la politique ». Les personnalités de la littérature ne sont générale
ment pas très compétentes en art, par cela même qu’elles
n’apportent à l’art que des conceptions littéraires; ce qui est ordinairement plus nuisible qu’utile. Mais elles contribuent, par leur prose ou leurs vers, au succès de la peinture, de la
musique et de la sculpture. Leur avis est bon à connaître.
Quant aux personnalités politiques, il est assez rare qu’elles possèdent un tact parfait en des matières aussi étrangères à leurs occupations quotidiennes. Mais, comme elles tiennent les cordons do la bourse, il ne fallait pas non plus avoir l’air de dédaigner leurs opinions.
Le referendum des Arts de la vie se justifie donc fort bien. Nous regrettons seulement que, pour être plus complet, on
n’ait pas aussi demandé leur avis aux membres également distingués du Barreau, de l’Église, de l’Armée, de l’Instruc
tion publique, du Commerce et de l’Industrie. On y trouve des esprits tout aussi éclairés que dans la Politique, et pro
bablement un plus grand nombre d’acheteurs : considération qui n’était pas davantage à dédaigner.
***
Mais on ne peut pas tout faire à la fois. C’eut été d’ailleurs s’exposer à une trop grande variété dans les réponses ; et déjà, l’art, la politique et la littérature ont exprimé des opinions bien suffisamment diverses et divergentes.
Voici donc les questions posées, que nous allons énumérer une à une, en leur laissant toute leur précision :
a 1° Reconnaissez-vous à l’Etat le droit d’avoir et d’imposer une conception d’art quelle qu’elle soit et, à plus forte raison, de réprimer les tendances esthétiques d’une époque en monopolisant l’enseignement des Beaux-Arts? »
Comme nous procéderons paragraphe par paragraphe, nous demandons la permission de présenter quelques menues observations au fur et à mesure. Notre intention est simplement de rendre chaque question plus claire.
A la première, ainsi posée, il n’y a évidemment qu’une réponse à faire, et c’est celle que toute le monde a faite : L’État étant dans l’impossibilité absolue d’imposer une conception d’art quelconque, lors même qu’il le voudrait, il n’y
2e Série. 10e Année. No 8.
NX Année de la Collection.
LA CONSTRUCTION MODERNE
ACTUALITÉS
LA SÉPARATION DES BEAUX-ARTS ET DE L’ÉTAT
M. le Dr Doyen a séparé jadis Radica et Doodica. L’opération avait parfaitement réussi, puisque l’une des victimes de la séparation n’est morte que le lendemain ; l’autre a mis plusieurs mois à achever sa carrière. Pouvait-on exiger plus?
Depuis cette célèbre opération, il n’est question que de séparer.
A litre de transaction on continue cependant à couper les poires en deux; et comme les « poires » ne manquent pas,
les personnes chargées de ce genre de travail ne manquent pas non plus d’occupation.
Une revue qui se pique d’être indépendante — c’est se piquer dans un but très louable — et qui s’intitule : les Arts de la vie, vient d’organiser une enquête sur la séparation, complète et immédiate, des Arts et de l’État.
Cette revue s’est donné un titre excellent par son étendue même, et qui lui permet de rendre des services très sérieux dans toutes les circonstances de la vie; et Dieu sait si elles sont nombreuses. Elle a donc devant elle un immense territoire à défricher : qui confine aux arts les plus nobleset pour
rait à la rigueur s’étendre jusqu’à l’Art d’élever des lapins et l’Art de dîner en ville, lesquels ne sont pas moins précieux dans le cours de l’existence, — qu ils contribuent à embellir tout autant que les premiers.
La Direction, qui comprend admirablement son temps, a donc adressé un questionnaire très précis « aux personnalités les plus autorisées de l’art, de la littérature et de la politique ». Les personnalités de la littérature ne sont générale
ment pas très compétentes en art, par cela même qu’elles
n’apportent à l’art que des conceptions littéraires; ce qui est ordinairement plus nuisible qu’utile. Mais elles contribuent, par leur prose ou leurs vers, au succès de la peinture, de la
musique et de la sculpture. Leur avis est bon à connaître.
Quant aux personnalités politiques, il est assez rare qu’elles possèdent un tact parfait en des matières aussi étrangères à leurs occupations quotidiennes. Mais, comme elles tiennent les cordons do la bourse, il ne fallait pas non plus avoir l’air de dédaigner leurs opinions.
Le referendum des Arts de la vie se justifie donc fort bien. Nous regrettons seulement que, pour être plus complet, on
n’ait pas aussi demandé leur avis aux membres également distingués du Barreau, de l’Église, de l’Armée, de l’Instruc
tion publique, du Commerce et de l’Industrie. On y trouve des esprits tout aussi éclairés que dans la Politique, et pro
bablement un plus grand nombre d’acheteurs : considération qui n’était pas davantage à dédaigner.
***
Mais on ne peut pas tout faire à la fois. C’eut été d’ailleurs s’exposer à une trop grande variété dans les réponses ; et déjà, l’art, la politique et la littérature ont exprimé des opinions bien suffisamment diverses et divergentes.
Voici donc les questions posées, que nous allons énumérer une à une, en leur laissant toute leur précision :
a 1° Reconnaissez-vous à l’Etat le droit d’avoir et d’imposer une conception d’art quelle qu’elle soit et, à plus forte raison, de réprimer les tendances esthétiques d’une époque en monopolisant l’enseignement des Beaux-Arts? »
Comme nous procéderons paragraphe par paragraphe, nous demandons la permission de présenter quelques menues observations au fur et à mesure. Notre intention est simplement de rendre chaque question plus claire.
A la première, ainsi posée, il n’y a évidemment qu’une réponse à faire, et c’est celle que toute le monde a faite : L’État étant dans l’impossibilité absolue d’imposer une conception d’art quelconque, lors même qu’il le voudrait, il n’y
2e Série. 10e Année. No 8.
NX Année de la Collection.