comme d’une opération aussi simple que de couper ses propres cheveux.
Aussitôt la Société accourt, effarée, et offre quelques subsides. On voit que le petit « truc » est d’une extrême sim
plicité : ce sont toujours les plus simples qui réussissent le mieux. Seulement la Société ne sait plus auquel entendre, et ses ressources ne sont pas inépuisables. L’Etat a bien voulu lui prêter, de temps en temps, son concours; et M. Beauquier demande qu’il soit continué.
— Vous pouvez compter sur nous, a répondu M. le ministre. Les sites seront protégés cette année encore; et nous ne verrons pas trop souvent « la dépouille de nos bois joncher la terre ».
Les communes vont faire de bonnes petites affaires cette année.
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A une heure déjà avancée, où la plupart des députés réclamaientdéjà leurs chapeaux, cannes et parapluies, M. Rudelle est venu courageusement demander à notre ministre des Beaux-Arts s’il avait, oui ou non, l’intention de faire curer convenablement, à Versailles, la pièce d’eau dite des Suisses, laquelle empeste par moment l’atmosphère environnante.
A ce nettoyage indispensable le Palais gagnerait beaucoup, et les quartiers avoisinants seraient moins insalubres. Mais ici a commencé un vif débat entre l’orateur et le ministre.
On accuse le bassin d’avoir été « curé » en 1896 ; mais la gauche la plus radicale elle-même ne peut pas lui en vouloir, puisqn’il ne l’a plus été depuis.
Si les mauvaises odeurs persistent, à quoi les attribuer? Voilà la question.
A la nécessité d’un nouveau curage ou curettage? M. Rudelle dit: oui; M. le ministre dit: non. Si de funestes parfums se dégagent, c’est la faute, non pas du bassin, mais des pêcheurs à la ligne ; et voici comment :
Près des berges il y a des excavations ; dans ces excavations s’amoncellent les appâts elles déchets d’animaux que prodiguent les pêcheurs. Telle est la véritable cause des émanations.
Et M. le ministre a ajouté : « Maintenant qu’on connaît les causes, les mauvaises odeurs qui ont été ressenties et dont avec raison on pouvait se plaindre, ne se reproduiront pas ».
Peut-être trouvera-t-on que cette conclusion est un peu hasardée : Parce que la cause est connue, il ne s’ensuit pas que le mal, honteux d’être découvert, se hâtera de dispa
raître. Un bon nettoyage, tel que le réclamait M. Rudelle, nous paraîtrait plus efficace que cet optimisme officiel.
Seulement l’opération coûte 80.000 francs, paraît-il. C’est beaucoup pour un seul bassin ; mais on nous dit que c’est le prix. Espérons qu’avec le concours des pêcheurs à la ligne,
résignés à ne plus se servir d’appâts et à n’attirer plus les poissons qu’au doux son de la flûte pastorale, les odeurs prendront l’engagement de ne plus se manifester.


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Enfin, au moment d’une sortie générale, qui n’était nullement prématurée puisqu’il y avait eu séance redoublée, M. Lerolle eut à son tour le courage de réclamer un po’
più di luce, — comme disent nos amicaux voisins, — pour le jardin des Tuileries. On voit que le budget circulait celte année de parcs en jardins, de bosquets en forêts.
M. Lerolle avait jugé nécessaire de révéler un fait qui méritait effectivement d’être signalé pour son originalité, L’Administration prend parfois des mesures dont la profondeur échappe aux simples mortels.
L’éclairage des Tuileries a jadis donné lieu à de longs débats. On a réclamé longtemps l’ouverture d’une partie du jardin, l’été particulièrement où l’on a tant besoin d’aller chercher, le soir, un peu d’air respirable. Pour sauvegarder la morale, qui mérite de grands égards, on demandait que l’électricité jetât partout ses torrents de lumière.
Mais l’électricité ne peut empêcher ce qu’elle se contente de révéler; il faut des gardiens, et l’Administration ne veut pas de gardiens supplémentaires qui coûtent cher.
Elle a dû céder cependant; l’électricité a été posée; mais voici comment l’Administration a pris sa revanche. Voici le très joli tour qu’elle a joué aux Parisiens naïfs :
« Lorsque, d’accord avec la Ville, disait M. Lerolle, le gouvernement a entrepris cet éclairage, nous avons tous cru avoir enfin satisfaction, mais cette illusion n’a pas duré. En effet, dès qu’on allume le jardin des Tuileries, on le ferme ! »
Vous voulez que j’éclaire, s’est dit le Gouvernement, j’éclaire. Mais comme je ne veux pas fatiguer mes gardiens, le petit Caporal lui-même n’entrera pas;— et il l’a fait comme il l’avait dit. Tl s est donné cette narquoise satisfaction de soumettre le public au supplice de Tantale : tous les soirs, il peut contempler de loin la brillante illumination, durant plusieurs heures, d’un jardin désert, dans lequel il est sévè
rement interdit de pénétrer. Les grilles sont hermétiquement fermées.
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Il y en a qui se résigneraient à posséder un peu moins d’électricité mais un peu plus de gardiens, pour la même dépense. Pour le moment, l’Administration, toujours conci
liante, offre des concessions ; elle allumerait volontiers jusqu’à dix heures, et ne fermerait les portes qu’à sept heures et demie. C’est là-dessus qu’on bataille : M. Lerolle veut la fermeture et l’extinction simultanées, ce qui paraît assez logique.
Finalement, M. le Commissaire du Gouvernement, reconnaissant qu’il y a quelque chose à améliorer dans la combinaison actuelle, a promis d’engager de nouvelles négociations avec la Ville.
« Il a l’espoir de rendre les Tuileries susceptibles d’être traversées, — tout au moins dans le sens qui sépare la rue de Rivoli du quai, jusqu’à une heure qui permette au public en général d’éviter un long et pénible détour. »
Ce sera évidemment un progrès, une étape dans la voie de l’amélioration, ainsi que disait M. le Commissaire, il y aura un sens dans lequel nous serons simultanément éclairés et admis à circuler.
Reste l’autre sens; ce sera pour une prochaine année; sachons nous contenter du bienfait qui nous arrive, même incomplet.
Cette distinction si nécessaire entre l’un et l’autre sens, montre que le Malade Imaginaire était moins ridicule qu’on ne croit, lorsque, son médecin lui ordonnant de faire douze pas dans sa chambre, il demandait: En long, ou en large ?