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En ce grave sujet des modifications qu’il pourrait être utile d’apporter aux antiques règlements de l’Ecole romaine, c’est ainsi que nous avons procédé.
D’aucuns les déclarent surannés, incompatibles avec les tendances modernes; d’autres les considèrent comme intangibles, et, par conséquent, comme essentiellement immuables.
Avec plusieurs Académiciens qui ont derrière eux une longue et des plus belles carrières, nous croyons bien qu’il y a, de part et d’autre, quelque exagération; nous pensons que, dans l’Art, la tradition, fruit de l’expérience séculaire des plus grands artistes, ne saurait être considérée comme négligeable, ainsi qu’un lest usé et déprécié qu’on peut impunément jeter par-dessus bord.
Mais nous pensons aussi que tout ce qui a la prétention de vivre doit s’accommoder aux inévitables transformations qu’impose le temps. Ce qui fut merveilleusement adapté aux mœurs, aux tendances, à l’esprit d’un siècle, ne serait plus en si parfait accord avec le siècle suivant. Or, ne plus s’adapter aux conditions de la vie ambiante, c’est se condamner soi-même à la vieillesse et à la mort prochaine.
Il est donc très vraisemblable, à notre avis, que l’Académie, en ne se montrant pas intransigeante et réfractaire, comme on le lui conseille parfois, à toute idée de rajeunissement; pas plus qu’elle ne consentira à engager une révolu
tion qui devrait tout bouleverser, de fond en comble; qu’en agissant ainsi, elle se montre parfaitement raisonnable.
Qu’on lise attentivement les noms qui composent la Commission. Il nous semble que l’esprit de tradition et que l’esprit d’innovation y sont très justement équilibrés. On peut donc compter que, ainsi représentée, l’Académie doit espérer qu’on ne la traitera pas de « vieille encroûtée », — on ne lui a pas ménagé ce genre d’épithètes flatteuses; —pas plus qu’on ne la soupçonnera de s’abandonner aux incohérences qu’on lui souhaite de temps en temps.
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En même temps qu’elle désignait les membres de sa Commission, elle présentait définitivement, à l’approbation du Ministre, une liste de trois noms pour la succession de M. Guillaume, à Rome.
En première ligne, elle inscrit celui de M. Carolus-Duran (peinture); en seconde ligne, celui de M. Bernier (architec
ture); en troisième ligne, celui de M. Coutan (sculpture). Le Ministre choisira entre les trois arts ainsi représentés.
M. Bernier avait déjà retiré une première fois sa candidature; on affirme que M. Coutan est dans des dispositions analogues. Leurs doux noms ne figureraient donc qu’à titre grandement honorifique, puisqu’ils sont adoptés par leurs confrères, mais en quelque sorte honoraire et platonique.
M. Carolus-Duran serait donc, d’après les on-dit, le candidat unique et définitivement olïicicicl ; ce qui lui constitue l’assurance de l’approbation ministérielle.
M. Daumet, sage partisan, dit-on aussi, de réformes prudentes mais nécessaires, aurait certainement vu son nom accueilli par l’assentiment général ; et tous regretteront qu’il
n’ait pas cru pouvoir assumer la haute mission dont il se serait certainement acquitté à la satisfaction de tous.
M. Carolus-Duran, qui est un artiste de grande valeur, étant aujourd’hui consacré par l’adhésion de l’Académie ellemême, se voit désormais à l abri des critiques qui reproche
raient à son talent de n’être pas assez purement classique;
en même temps, son nom sera loin de déplaire aux « jeunes » qui désirent voir l’Art sortir de voies trop étroites.
Espérons donc qu’après de si laborieuses négociations, tout le monde se déclarera satisfait,.. pour le moment. Car le parfait accord des opinions, en matière d’art, ne saurait être de très longue durée.
Il ne faudrait pas s’en affliger outre mesure; car, en art, la divergence de ces opinions et de ces tendances n’est, après tout, que le meilleur indice de vitalité.
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Tout indique donc que l’Académie de Rome a bien des chances de se voir infuser un peu de sang nouveau. Elle se
rajeunira peu à peu; elle n’en échappera que plus facilement à la menace de suppression qui, en ces derniers temps, était suspendue sur sa tête.
Ses défenseurs auront, d’ailleurs, un nouvel argument à faire valoir.
On a vu que l American national Institule veut fonder, à Paris même, une école qui sera le pendant de notre Acadé
mie de Rome. Avec l’esprit très moderne qui régit toutes choses en Amérique, on a pensé là-bas que, si Rome est un séjour d’élection pour les jeunes artistes, Paris n’est pas sans
offrir, aux artistes d’aujourd’hui et de demain, des sujets d’inspiration et d’enseignement qui ont bien aussi leur prix.
L’art français actuel, peinture, sculpture et architecture, par la diversité même de ses tendances et la rivalité exas
pérée des artistes qui représentent ces tendances si diverses,
donne les preuves de sa très ardente vitalité. Les jeunes artistes américains y trouveront facilement un milieu,
peut-être moins paisible que celui de Rome, moins abrité contre les bruits et les tumultes de la vie moderne, mais non moins capable d’éveiller la pensée artistique.
Assurément, en ses débuts surtout, l’artiste ne doit pas négliger l’étude du passé et de ses chefs-d’œuvre; mais Paris n’a-t-il pas, tout comme Rome, des richesses admirables à mettre sous ses yeux, par ses musées, ses édifices? Et n’offret-il pas ce double avantage d’instruire à la fois par le passé et par le présent?
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En tous cas, la nouvelle institution que projettent les Américains, et pour laquelle ils nous font l’honneur de choi
sir comme berceau notre capitale, ne prouve-t-elle pas qu’il
est utile à tout pays de créer, et de conserver, ces colonies privilégiées d’artistes qui vont, au dehors de leur propre pays, étudier les chefs-d’œuvre dont ont hérité les régions favorisées par le génie des Arts?
Aussi, flattés, comme nous devons l’être, devons-nous aussi suivre avec intérêt la création et les débuts du nouvel institut.
Un projet de convention a été soumis au Conseil munici