24 DÉCEMBRE 1904


LA CONSTRUCTION MODERNE




ACTUALITÉS


L’HOTEL DE ROHAN
Une discussion très longue, et quelque peu confuse, s’est élevée à propos de la démolition projetée de l’Hôtel de Rohan au Marais qui abrita longtemps l’Imprimerie nationale.
Pour être fort bien justifiées, les réclamations actuelles contre cette destruction sont malheureusement tardives puisque, dès 1602, une loi fut votée par laquelle:
« Les terrains et bâtiments de l’immeuble de la rue Vieilledu-Temple, occupés actuellement par l’Imprimerie nationale, seront remis au service des Domaines pour être aliénés au mieux des intérêts du Trésor. »
Le rapporteur de la loi ajoutait :
« Le directeur de l’Imprimerie réclame l’enlèvement immédiat de ces élégantes peintures, afin qu’elles ne puissent être détériorées pendant l’évacuation des locaux. »
C’est qu’en effet, le cabinet dit des Singes a été décoré par Christophe Huet, et c’est un des spécimens les plus remar
quables de ce genre de peinture fantaisiste. Mais, déplus,
au-dessus de l’entrée des écuries de l’Hôtel subsiste un basrelief : Les Coursiers du Soleil, qui est le chef-d’œuvre de Le Lorrain. La Construction moderne l’a reproduit en fron
tispice, comme un des plus beaux morceaux de sculpture décorative de cette époque. Lors de cette reproduction, le bas-relief n’était pas universellement connu, bien qu’il méritât de l’être; mais on entrait peu, difficilement et rare
ment dans l’intérieur de l’Imprimerie nationale. Maintenant qu’il est question de l’enlever, sinon de le faire disparaître, tout le monde se récrie sur sa beauté qui est très réelle.
Le Musée des Arts décoratifs, au Louvre, s’est offert à donner un dernier abri au Cabinet des Singes comme aux Coursiers du Soleil, puisque la loi ordonne la démolition de l’Hôtel dont ils sont les plus beaux ornements.
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Il eût donc fallu, dès 1902, réclamer contre cette décision brusquée. Pourquoi ne l’a-t-on pas fait alors? C’est ce que
nul ne saura jamais. Aujourd’hui, il devient beaucoup plus difficile de revenir sur les articles qui avaient acquis, provisoirement, force de loi.
Il est un peu tard pour se demander, au moment où l’on va mettre bas ces vieux bâtiments : Mais, à ce propos, pourquoi les démolir?
Que l’Imprimerie ait émigré à Grenelle, nul ne considérera ce déménagement comme un malheur public. Il était réclamé conjointement avec le déménagement jumeau des Colonies. Mais comme celui-ci n’aura jamais lieu, malgré les engagements les plus solennels, il fallait bien nous accorder, en guise de compensation, celui de l’Imprimerie nationale.
Maintenant va-t-on, oui ou non, démolir l’Hôtel de Rohan; va-t-on enlever les peintures de Huet pour les trans
porter et les loger, le moins mal possible, dans une salle de musée, où ils seront pieusement conservés, nous n’en doutons pas ; mais où elles perdront nécessairement tout le caractère que leur donnait leur destination ?
Ya-t-on démonter les Coursiers, et les remonter, pièce par pièce, dans une salle plus ou moins obscure, dont ils feront le plus bel ornement au lieu de décorer l’entrée d’écuries seigneuriales, ce qui était leur véritable mission?
Voilà toute la question, tardivement débattue et qui reste à débattre encore.


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M. Jules Clarctie avait ouvert le feu. Il proposait de conserver l’Hôtel de Rohan, au lieu de le détruire, afin de l’annexer à l’Hôtel de Soubise voisin, où les Archives nationales sont décidément trop à l’étroit.
M. Lintilhac, sénateur et élève en droit, saisit sa meilleure plume pour annoncer que si, dans la Presse, M. Claretie poussait un premier cri d’alarme, il en pousserait un second au Sénat. M. Georges Berger, directeur des Arts décoratifs,
comptait sur un enlèvement autorisé par la loi, sur un rapt légal; M. Lintilhac n’entendait pas favoriser,par son silence,
2e Série. 10e Année. N° 13.


XXe Année de la Collection.