une opération scandaleuse qui eût fait de l’honorable M. Berger un nouveau complice de Mme Bob Waller.
Il le lui dit en face, prenant à témoin M. Henri Maret, rapporteur des Beaux-Arts, et plusieurs députés qui passaient par là. Fort de son droit légal, M. Berger fut inflexible.
M. Lintilhac eût beau invoquer Chateaubriand, lequel s’indignait jadis de voir transporter dans des musées les objets d’art trouvés à Pompéï : « Il suppliait qu’on les laissât aux lieux et places où la suggestion historique rend lour beauté parlante, selon l’antique devise de leurs auteurs :
Magna vis admonilionis inest in lotis . »
C’était donc un crime, autorisé par l’article 3 de la loi de 1902, mais qui n’en était pas mieux justifiable. Car M. Lintilhac ne veut pas enlever aux chefs-d’œuvre leur emplace
ment natal ni le jour choisi par l’artiste, « pour les hospita
liser et figer dans la lumière glacée d’un musée-omnibus, orphelinat do l’Art? »
Orphelinat de l’Art est véhément, mais juste; car, après tout, les Coursiers du Soleil n’étaient pas faits pour être logés en chambre, ni regardés en les plaçant sur une cimaise comme une miniature, ni même un tableau de chevalet. II y atout à parier qu’ils perdront à celte réinstallation la plupart des qualités de verve, de fougue décorative qui sont leur principal mérite.
M. G. Berger s’est hâté de répondre. D’après lui, ce qui reste de l’hôtel de Bohan ne lient pas debout. Conclusion : laissez-moi prendre mon ours, d autant plus que sa peau m’est déjà promise.
Agrandir l’hôtol des Archives est peut-être nécessaire, et l’opération coûterait une centaine de mille francs. Mais,
d’après M. Berger, le sacrifice qu’on ferait en empruntant l’hôtel de Bohan no servirait pas à grand’chose. Il faudrait une reconstitution intégrale de cet Hôtel, laquelle exigerait plusieurs millions. Ne pouvant tout faire, il est préférable de tout détruire.
Même à ce prix, on ne réaliserait qu’un souvenir bâtard du passé, car cotte demeure princière valait surtout par ses dépendances superbes, bien plus en tout cas que par son principal corps de logis. Telle est l’opinion de M. Berger.
On pourrait bien réparer les dégâts commis pour l’installation de l’Imprimerie, supprimer les hangars, les cloisons
do bureaux, les ateliers, etc., etc., qui déshonorent cet immeuble; et cela ne coûterait pas bien cher, tout en permettant de conserver à leur place les chefs-d’œuvre aux
quels onvoutévitor col enterrement de première classe qu’est l’entrée dans un musée.
Mais si l’on ne reconstitue pas la demeure princière dans son intégrité primitive, on n’aura rien fait, ostimo M. Berger.
Il semble pourtant à ses contradicteurs que, si l’on sauve ainsi les chefs-d’œuvre qu’il convoito, — et sa convoitise môme prouve bien qu’ils sont d’un grand prix, — si l’on obtient au moins ce résultat, co sera déjà un profit appréciable.
Cortès, il serait préférable do pouvoir détruire tout un quartier pour rétablir, à la place, les vastes et beaux jar
dins qui encadreraient l’hôtel, au grand profit dos quartiers voisins. Mais, ne pouvant aborder d’aussi vastes opérations,
ne doit-on passe rappeler que le mieux est l’ennemi du bien, quand on sacrifie le bien, faute d’clre en mesure do réaliser le mieux.
*
* *
Très habilement, M. Berger cherche à rompre les chiens. Laissez-moi donc, conclut-il, mes singes et mes chevaux; ils sont à moi, c’est vote. Vous feriez bien mieux de vous occuper du château de Maisons-Laffitte.
« Le témoin triomphal de l’art monumental du xvii6 siècle est resté entier. Il est aux mains d’entrepreneurs en démoli
tion, auxquels on a toléré qu’il fût vendu... Occupons-nous de la santé des grands vivants : no maquillons pas les cadavres dont nous pleurons le joncheinent sur le sol de France. »
Quand on veut noyer son chien, dit le proverbe, on dit qu’il est enragé. Comme M. Berger tient à la démolition de l’hôtel do Bohan, pour en extraire les Coursiers et les Singes qu’il considère comme siens, il estime et déclare que 1 hôtel de Bohan n’est qu’un pelé, un galeux, et que c’est œuvre pie que de faire disparaître ce débris.
Certes, Maisons-Laffitte est au moins aussi digne d’intérêt. Mais si l’on a eu tort de le livrer aux mains des entre
preneurs de démolitions, il ne s’ensuit pas du tout que ce soit une raison pour recommencer la même faute avec l’hôtel de Bohan.
Néanmoins, M. Berger conclut : Il y a bien assez d’autres monuments à conserver, sans commencer par celui-là. Quant aux peintures de Huet et aux sculptures do Le Lorrain, où peuvent-elles être mieux qu’au sein des Arts décoratifs ?
M. Lintilhac disait que c’est un musée-omnibus, un orphelinat des arts. M. Berger répond que c’est le vrai domicile paternel, le vrai sein de la famille.
C’est ce qu’on peut appeler une divergence d’opinions. *
* *
De son côté, M. Claretie reprit la plume. L’hôtel de Bohan ne tient pas debout ! Celte condamnation on cinq sec l’avait quelque peu ému.
« Je voudrais pour cela, répondait-il, connaître le verdict d’un architecte. Le très savant professeur et historien de
l’architecture, M. J.Guadet me dit, ce matin, qu’il souhaite que mon cri d’alarme puisse assurer la conservation d’un monument intéressant. Il souhaite. Espère-t-il? »
Est-il donc si certain que l’hôtel qui, ces jours derniers, abritait encore l’Imprimerie nationale et ses ateliers, soit complètement à bout de souffle et condamné à une mort certaine? Avant de le dire, il serait assez équitable de s’en
être assuré. Or, il ne manque pas de bâtisses plus anciennes encore et qui portent assez gaillardement leur âge.
Et, puisqu’il est reconnu indispensable d’agrandir les Archives voisines, pourquoi ne pas employer les sommes
nécessaires, à dégager, à nettoyer, consolider, s’il le faut, l’hôtel de Bohan, plutôt qu’à acheter des terrains et bâtir de nouveaux immeubles auxquels on serait, par économie, forcé de donner l’aspect le plus utilitaire possiblo.
« Si je veux voir du modem stylo, ajoutait M. Claretie, j’irai à Chicago. A Paris je cherche les grâces esthétiques, les pierres historiques. »
Pour avoir quelques chances de les trouver en cherchant
Il le lui dit en face, prenant à témoin M. Henri Maret, rapporteur des Beaux-Arts, et plusieurs députés qui passaient par là. Fort de son droit légal, M. Berger fut inflexible.
M. Lintilhac eût beau invoquer Chateaubriand, lequel s’indignait jadis de voir transporter dans des musées les objets d’art trouvés à Pompéï : « Il suppliait qu’on les laissât aux lieux et places où la suggestion historique rend lour beauté parlante, selon l’antique devise de leurs auteurs :
Magna vis admonilionis inest in lotis . »
C’était donc un crime, autorisé par l’article 3 de la loi de 1902, mais qui n’en était pas mieux justifiable. Car M. Lintilhac ne veut pas enlever aux chefs-d’œuvre leur emplace
ment natal ni le jour choisi par l’artiste, « pour les hospita
liser et figer dans la lumière glacée d’un musée-omnibus, orphelinat do l’Art? »
Orphelinat de l’Art est véhément, mais juste; car, après tout, les Coursiers du Soleil n’étaient pas faits pour être logés en chambre, ni regardés en les plaçant sur une cimaise comme une miniature, ni même un tableau de chevalet. II y atout à parier qu’ils perdront à celte réinstallation la plupart des qualités de verve, de fougue décorative qui sont leur principal mérite.
** *
M. G. Berger s’est hâté de répondre. D’après lui, ce qui reste de l’hôtel de Bohan ne lient pas debout. Conclusion : laissez-moi prendre mon ours, d autant plus que sa peau m’est déjà promise.
Agrandir l’hôtol des Archives est peut-être nécessaire, et l’opération coûterait une centaine de mille francs. Mais,
d’après M. Berger, le sacrifice qu’on ferait en empruntant l’hôtel de Bohan no servirait pas à grand’chose. Il faudrait une reconstitution intégrale de cet Hôtel, laquelle exigerait plusieurs millions. Ne pouvant tout faire, il est préférable de tout détruire.
Même à ce prix, on ne réaliserait qu’un souvenir bâtard du passé, car cotte demeure princière valait surtout par ses dépendances superbes, bien plus en tout cas que par son principal corps de logis. Telle est l’opinion de M. Berger.
On pourrait bien réparer les dégâts commis pour l’installation de l’Imprimerie, supprimer les hangars, les cloisons
do bureaux, les ateliers, etc., etc., qui déshonorent cet immeuble; et cela ne coûterait pas bien cher, tout en permettant de conserver à leur place les chefs-d’œuvre aux
quels onvoutévitor col enterrement de première classe qu’est l’entrée dans un musée.
Mais si l’on ne reconstitue pas la demeure princière dans son intégrité primitive, on n’aura rien fait, ostimo M. Berger.
Il semble pourtant à ses contradicteurs que, si l’on sauve ainsi les chefs-d’œuvre qu’il convoito, — et sa convoitise môme prouve bien qu’ils sont d’un grand prix, — si l’on obtient au moins ce résultat, co sera déjà un profit appréciable.
Cortès, il serait préférable do pouvoir détruire tout un quartier pour rétablir, à la place, les vastes et beaux jar
dins qui encadreraient l’hôtel, au grand profit dos quartiers voisins. Mais, ne pouvant aborder d’aussi vastes opérations,
ne doit-on passe rappeler que le mieux est l’ennemi du bien, quand on sacrifie le bien, faute d’clre en mesure do réaliser le mieux.
*
* *
Très habilement, M. Berger cherche à rompre les chiens. Laissez-moi donc, conclut-il, mes singes et mes chevaux; ils sont à moi, c’est vote. Vous feriez bien mieux de vous occuper du château de Maisons-Laffitte.
« Le témoin triomphal de l’art monumental du xvii6 siècle est resté entier. Il est aux mains d’entrepreneurs en démoli
tion, auxquels on a toléré qu’il fût vendu... Occupons-nous de la santé des grands vivants : no maquillons pas les cadavres dont nous pleurons le joncheinent sur le sol de France. »
Quand on veut noyer son chien, dit le proverbe, on dit qu’il est enragé. Comme M. Berger tient à la démolition de l’hôtel do Bohan, pour en extraire les Coursiers et les Singes qu’il considère comme siens, il estime et déclare que 1 hôtel de Bohan n’est qu’un pelé, un galeux, et que c’est œuvre pie que de faire disparaître ce débris.
Certes, Maisons-Laffitte est au moins aussi digne d’intérêt. Mais si l’on a eu tort de le livrer aux mains des entre
preneurs de démolitions, il ne s’ensuit pas du tout que ce soit une raison pour recommencer la même faute avec l’hôtel de Bohan.
Néanmoins, M. Berger conclut : Il y a bien assez d’autres monuments à conserver, sans commencer par celui-là. Quant aux peintures de Huet et aux sculptures do Le Lorrain, où peuvent-elles être mieux qu’au sein des Arts décoratifs ?
M. Lintilhac disait que c’est un musée-omnibus, un orphelinat des arts. M. Berger répond que c’est le vrai domicile paternel, le vrai sein de la famille.
C’est ce qu’on peut appeler une divergence d’opinions. *
* *
De son côté, M. Claretie reprit la plume. L’hôtel de Bohan ne tient pas debout ! Celte condamnation on cinq sec l’avait quelque peu ému.
« Je voudrais pour cela, répondait-il, connaître le verdict d’un architecte. Le très savant professeur et historien de
l’architecture, M. J.Guadet me dit, ce matin, qu’il souhaite que mon cri d’alarme puisse assurer la conservation d’un monument intéressant. Il souhaite. Espère-t-il? »
Est-il donc si certain que l’hôtel qui, ces jours derniers, abritait encore l’Imprimerie nationale et ses ateliers, soit complètement à bout de souffle et condamné à une mort certaine? Avant de le dire, il serait assez équitable de s’en
être assuré. Or, il ne manque pas de bâtisses plus anciennes encore et qui portent assez gaillardement leur âge.
Et, puisqu’il est reconnu indispensable d’agrandir les Archives voisines, pourquoi ne pas employer les sommes
nécessaires, à dégager, à nettoyer, consolider, s’il le faut, l’hôtel de Bohan, plutôt qu’à acheter des terrains et bâtir de nouveaux immeubles auxquels on serait, par économie, forcé de donner l’aspect le plus utilitaire possiblo.
« Si je veux voir du modem stylo, ajoutait M. Claretie, j’irai à Chicago. A Paris je cherche les grâces esthétiques, les pierres historiques. »
Pour avoir quelques chances de les trouver en cherchant