3 juin 1905
LA CONSTRUCTION MODERNE
2° Série. 10e Année. N° 36.
XXe Année de la Collection


ACTUALITÉS


LA PLAQUE SANITAIRE
On sait que, dans plusieurs grandes villes, l administration municipale a établi, pour chaque immeuble, un casier sani
taire. C’est le pendant du casier judiciaire que chaque citoyen
peut se constituer à la Préfecture par ses faits et méfaits; — ces derniers surtout, car, si le citoyen a mérité par scs vertus un prix Montyon, le casier n’en a cure.
Le casier de l’immeuble procède à peu près de môme. Si celui-ci est parfaitement salubre il n’a guère d’histoire, tout comme les peuples heureux; mais s’il pèche contre les règles,
toutes-puissantes aujourd’hui, de l’hygiène, ses fautes sont dûment enregistrées.
Jusqu’à ce jour, l’administration a jugé prudent, paraît-il, de ne pas communiquer les notes de ces divers casiers; elle les garde pour elle; ce sont des renseignements utiles pro
bablement à son Conseil d’hygiène, à ses inspecteurs, etc.,
qui cherchent à agir en conséquence sur le propriétaire et l’amener à de meilleurs sentiments vis-à-vis de ses locataires.
Ceux-ci auraient bien intérêt à connaître le dossier de l’immeuble qu’ils comptent habiter; à savoir s’il n’est pas trop régulièrement visite par la typhoïde, si d’autres épidé
mies n’y ont pas trouvé un séjour d’élection. Plusieurs ont,
dit-on, demandé à l’administration de leur communiquer les renseignements officiellement enregistrés.
L’administration refuse toute communication de ce genre; elle fait bien, car elle s’exposerait à d’onéreux procès, et quelques propriétaires récalcitrants pourraient l’obliger à réparer le dommage que leur aurait ainsi causé là Ville. Tout le monde sait qu’il existe un fameux article qui a prévu le cas.
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C’est celle situation, un peu bizarre par certains côtés, qu’examine M. André Lefèvre, dans le Journal. Pour éviter toute difficulté, pour soustraire l’administration à toutes ces revendications plus ou moins justifiées, il suffirait., dit-il, d’une loi spéciale devant laquelle les propriétaires seraient alors obligés de s’incliner.
Peut-être M. Lefèvre lui-même ne compte-t-il pas trop sur la diligence qu’apporteraient les deux Chambres à voter une loi aussi utile, et d’une si médiocre importance poli
tique; aussi propose-t-il des mesures provisoires qui n’au
raient pas besoin d’être couvertes par l’intervention législative.
Un premier moyen se présente, qui pourrait être appliqué sans trop de difficultés. Déjà le Préfet de la Seine, et peutêtre quelques préfets dans les départements, autorisent la communication du casier, mais au seul propriétaire. Celui
ci se trouve ainsi renseigné exactement sur l’état hygiénique de son immeuble; état sur lequel il pouvait, à la rigueur, se faire des illusions.
Nous doutons, pour notre part, que ces illusions soient fréquentes; mais enfin, légalement, elles ont le droit d’exister.
Actuellement, on ne va pas plus loin que celte simple communication. Mais ne pourrait-on pas, demande M. A. Le
fèvre, donner copie conforme, certifiée, légalisée, etc., etc., des pièces de ce même dossier au propriétaire?
Il ne tient qu’à lui que cette copie rcste purement confidentielle; si elle est plus tard connue de tierces personnes, il ne pourra s’en prendre qu’à lui-même et n’aura plus, en tous cas, de revendications à exercer contre la Ville, aucune réparation à réclamer contre un dommàge causé, le cas échéant, par lui seul.
La règle étant ainsi bien établie et, par conséquent, portée à la connaissance du public, qu’arrivera-t-il?
Tout locataire un pou soucieux de sa santé et de celle des siens s’empressera do demander au propriétaire communi
cation, à son tour, do la copie officielle. De deux choses l’une : ou bien le propriétaire s’empressera de donner cette satisfaction à son locataire; on peut être certain d’avance, en pareil cas, que los notes seront excellentes et que l’immeuble a mérité une bonne note de salubrité.
Ou bien le propriétaire refuse; personne ne peut le contraindre à la communication qui lui est demandée. Mais le locataire pourra, dans ce cas, conclure très légitimement qu’il ferait mieux d’aller s’installer ailleurs.