Quant au propriétaire, de quoi se plaindrait-il ; et contre qui pourrait-il se plaindre ?
Un troisième cas peut bien se présenter, il est vrai. Le propriétaire peut n’avoir pas jugé utile de demander la copie du casier sanitaire; il peut tout au moins déclarer qu’il ne l’a pas cru nécessaire, Mais, comme cette réponse, fût-elle exacte, ne peut inspirer que méfiance et deviendra prompte
ment nuisible aux propriétaires, il est à penser que tous arriveraient promptement à se mettre on règle.
L’effet des mesures protectrices de la santé publique serait ainsi obtenu sans trop long délais et sans que la Ville s’exposât à de sérieux désagréments.
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Voilà donc un premier remède proposé. Mais rien n’est parfait en ce monde, et M. A. Lefèvre le sait bien; aussi est-il lepremier à opposer des objections. Le moyen offert lui semble excellent en principe, pour les grands et les moyens appartements. Or, on remarquera déjà que ce n’est guère dans ces deux catégories que l’insalubrité est le plus à redouter.
Elle sévit malheureusement, et surtout, dans lespetits appartements; et c’est là que la mesure préconisée court justement risque de ne servir à rien.
« Il faut bien le dire, fait observer M. Lefèvre : la classe ouvrière se montre encore d’une regrettable indifférence sur ces questions... En pratique, un ouvrier réclamera très rarement d’un propriétaire communication des documents sanitaires. Quelques-uns railleront, la plupart resteront indifférents, d’autres n’oseront pas. Les pauvres gens ont encore la crainte du propriétaire, homme redoutable, qui
peut, au terme suivant, les mettre à la rue en gardant leurs meubles, si le chômage et la maladie sont venus les mettre dans l’impossibilité do payer. »
Il y a bien d’autres raisons encore qui empêcheront le petit locataire de risquer la demande indiscrète vis-à-vis d’un propriétaire peu disposé à accueillir celle-ci. En fait, le mal actuel ne pourrait guère être ainsi réprimé, dans les régions mêmes où la répression serait le plus nécessaire. Celte solution n’est donc pas d’une bien grande efficacité.
Aussi M. A. Lefèvre a-t-il imaginé unau Lro procédé, très simple, et qui semble, en effet, d’une efficacité mieux assurée.
Il faudrait, dit-il, que l’autorité municipale fût en droit de délivrer aux propriétaires déniaisons salubres des plaques à installer sur les façades, à côté des autres plaques du gaz, de l’eau, etc., etc. De cette façon, on décerne à l’immeuble un certificat de bonne vie et mœurs qui ne diffame ni ne dépré
cie aucun autre immeuble. La plaque constate que celui-ci est bon ; clic ne prétend nullement accuser le voisin. Donc,
pas de réclamations possibles, pas plus qu’il n’y en a contre l’immeuble qui déclare posséder l’eau et le gaz à tous les étages.

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M. A. Lefèvre prévoit bien encore quelques petites difficultés ; car enfin, dit-il tous les immeubles no sont pas également salubres; il existe dos degrés, devra-t-on en tenir compte?
Il nous semble que cela n’estpas rigoureusement indispensable. L’administration doit bien savoir à quel degré il con
vient de s’arrêter pour déclarer que l’immeuble est suffisamment sain : au-dessus, on se rapproche de la perfection qui est souhaitable, mais n’est pas pratiquement indispensable.
Au-dessous, on arrive tout de suite à h véritable insalubrité, au danger réel que l’on veut et que l’on doit supprimer.
A celte limite, on devra encore accorder la plaque ; on devra la refuser au-dessous.
Ce petit inconvénient pourrait donc être écarté, nous semblc-l-il. Moyennant quoi, on pourrait, semble-t-il, accepter la proposition de M. A. Lefèvre qui en attend les meilleurs résultats.
A Paris en particulier, estime-t-il, la plaque-certificat rendrait de grands services; mettant enjeu l intérêt despropriétaires, elle les amènerait très rapidement à faire dans leurs immeubles les modifications réclamées par la commission d’hygiène. On agirait ainsi sur beaucoup de maisons qui ont besoin d’amélioration sans cependant être assez mauvaises pour qu’on puisse les atteindre pénalement, car on ne peut pas mettre en mouvement l’arsenal répressif sans motifs sérieux.
« La plaque sanitaire donnerait donc d’appréciables résultats et constituerait pour le public une sérieuse garantie. On
ne saurait cependant la considérer comme une panacée. Elle n’agirait point sur les maisons franchement mauvaises, nécessitant une réfection presque complète, voire une démo
lition, — il en est dans ce cas. — Pour celles-là, — comme nous l’avons indiqué, — la loi du 15 février 1902 sur la pro
tection de la santé publique a prévu d’autres remèdes, do même qu’elle a prévu des moyens de contrainte pour les propriétaires récalcitrants. »
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Tout ceci est fort juste; malheureusement, on peut conserver encore quelques doutes sur la pleine efficacité de ce certi
ficat par plaques. Toutes les objections tirées tout à l’heure des habitudes, de l’indifférence reprochéeplus haut à la classe ouvrière en matière d’hygiène, ne subsisteraient-elles pas?
Comme le disait M. A. Lefèvre lui-même, les ménages chargés d’enfants —que les propriétaires de ces sortes d’im
meubles sont trop volontiers disposés à mal accueillir, — se gardent bien de chercher à s’assurer de la salubrité des
appartements qu’ils espèrent occuper. Trop souvent, ils se considèrent commo bien heureux déjà de notre pas refusés.
Avec la plaque, marque de supériorité, les propriétaires ne se montreront-ils pas encore plus exigeants ou difficiles que par le passé? Et les infortunés locataires à nombreuses familles ne vont-ils pas se ruer précisément sur les maisons dépourvues de plaques, avec espoir qu’elles se montreront plus accommodantes; en tous cas, que les loyers y seront moins onéreux?
De quelque façon que Ton s’y prenne, fût-elle simple et ingénieuse comme celle-ci, on voit donequo l’on tourne toujours dans le même cercle sans en pouvoir sortir. Les meil
leurs palliatifs ne peuvent rien contre l’incurie des uns, le mauvais vouloir dos autres, quand ils sont portés à un certain point.
L’incurie, la mauvaise volonté sont des droits formels pour chaque particulier, s’il est seul à en souffrir ; mais quand le mal qu’olles engendrent atteint autrui, il nous