24 juin 1905
LA CONSTRUCTION MODERNE
2e Série. 10e Année. N° 39.
XXe Année de la Collection
L AUTO DU MINISTÈRE DES COLONIES
Cadet-Roussel avait trois maisons, lesquelles n’avaient, dit-on, ni poutres, ni chevrons, ce qui devait les rendre assez mal habitables; il avait aussi trois cheveux, ce qui lui permettait, toujours d’après la chanson, d’en faire au moins une tresse.
Le ministère des Colonies n’a qu’une maison; le pis est qu’il n’en veut pas sortir. S’il en avait autant que Cadet- Roussel, on pourrait garder ce dernier espoir, que, par désir de changement, il habiterait tantôt l’une et tantôt l’autre, ce qui diminuerait les chances d’incendie do nos musées. Mais il ne possède que le Louvre et il le garde.
Pour être exact, nous devons cependant ajouter : le ministère a quelque chose de plus; quelque chose qui lui appartient en toute propriété.
Quoi donc?— Cherchez et vous ne trouverez pas. -— Non seulement les Colonies ont, comme l’hirondelle au cœur fidèle — toutes les romances l’on dit et chanté, — non seule
ment elles onL bâti, dans les murs de notre édifice public,
un nid qui vit leurs premières amours, et ne verra jamais les dernières ; mais elles ont, do leurs doniers, fait une acquisition bien imprévue.
Le ministère a une automobile ! Ce n’est assurément pas pour lui permettre do visiter plus fréquemment, plus rapide
ment, plus économiquement notre domaine colonial. Les autos ne vont pas sur l’eau comme les petits bateaux que l Etat met généreusement à la disposition de notre grande administration coloniale.
Qui dit auto, dit nécessairement garage et bidons. Garage pour laisser reposer à l’abri ce véhicule haletant de
scs courses; bidons pour lui infuser le pétrole qui sera pour lui l’aliment vivifleateur.
Il fallait donc au ministère un garage et des bidons. Désormais, ilal’un et il a les autres. Voicila note terrifiante qui s’est aussitôt répandue à travers les journaux de toutes nuances et de toutes opinions indistinctement:
« Un garage vient d’être installé dans le pavillon de Flore pour y remiser l’automobile de M. le ministre des Colonies. Les bidons d’essence qui y ont été déposés font courir au palais du Louvre de nouveaux et graves dangers d’incendie! ! ! »
*
* *
Telle est la situation grave que nous révèlent ces lignes. Nous savons tous qu’une Commission ad hoc veille à la
sécurité do nos musées ; que cette Commission considéré le ministère colonial comme un danger quasi national,
qu’elle le déclare hautement. Nous savons qu’elle se réunit ponctuellement dans le Cabinet de M. l’architecte du Louvre; qu’on ne peui plus apercevoir, par éclats intermittents, M. Redon qu’entre deux portes parce qu’il veille aussi, nuit et jour, parce qu’il conspire, au sein de la Commission,
pour le salut de l’immeuble, do la peinture, de la sculpture qui lui sont confiés. Nous savons que, pour tous les membres de la Commission, pour l’architecte qui gémit avec elle, les plus beaux jours ne sont plus que des nuits d angoisse.
Nous savons tout cela; nous voyons néanmoins 1 auto, les bidons et l’essence coloniaux s’installer, au mépris de toutes les Commissions humaines, en plein milieu du pavillon de Flore. Pauvre Flore ! Pauvre pavillon!
*
* *
Le cri de terreur fut général. Les poêles, les calorifères,
LA CONSTRUCTION MODERNE
2e Série. 10e Année. N° 39.
XXe Année de la Collection
ACTUALITÉS
L AUTO DU MINISTÈRE DES COLONIES
Cadet-Roussel avait trois maisons, lesquelles n’avaient, dit-on, ni poutres, ni chevrons, ce qui devait les rendre assez mal habitables; il avait aussi trois cheveux, ce qui lui permettait, toujours d’après la chanson, d’en faire au moins une tresse.
Le ministère des Colonies n’a qu’une maison; le pis est qu’il n’en veut pas sortir. S’il en avait autant que Cadet- Roussel, on pourrait garder ce dernier espoir, que, par désir de changement, il habiterait tantôt l’une et tantôt l’autre, ce qui diminuerait les chances d’incendie do nos musées. Mais il ne possède que le Louvre et il le garde.
Pour être exact, nous devons cependant ajouter : le ministère a quelque chose de plus; quelque chose qui lui appartient en toute propriété.
Quoi donc?— Cherchez et vous ne trouverez pas. -— Non seulement les Colonies ont, comme l’hirondelle au cœur fidèle — toutes les romances l’on dit et chanté, — non seule
ment elles onL bâti, dans les murs de notre édifice public,
un nid qui vit leurs premières amours, et ne verra jamais les dernières ; mais elles ont, do leurs doniers, fait une acquisition bien imprévue.
Le ministère a une automobile ! Ce n’est assurément pas pour lui permettre do visiter plus fréquemment, plus rapide
ment, plus économiquement notre domaine colonial. Les autos ne vont pas sur l’eau comme les petits bateaux que l Etat met généreusement à la disposition de notre grande administration coloniale.
Qui dit auto, dit nécessairement garage et bidons. Garage pour laisser reposer à l’abri ce véhicule haletant de
scs courses; bidons pour lui infuser le pétrole qui sera pour lui l’aliment vivifleateur.
Il fallait donc au ministère un garage et des bidons. Désormais, ilal’un et il a les autres. Voicila note terrifiante qui s’est aussitôt répandue à travers les journaux de toutes nuances et de toutes opinions indistinctement:
« Un garage vient d’être installé dans le pavillon de Flore pour y remiser l’automobile de M. le ministre des Colonies. Les bidons d’essence qui y ont été déposés font courir au palais du Louvre de nouveaux et graves dangers d’incendie! ! ! »
*
* *
Telle est la situation grave que nous révèlent ces lignes. Nous savons tous qu’une Commission ad hoc veille à la
sécurité do nos musées ; que cette Commission considéré le ministère colonial comme un danger quasi national,
qu’elle le déclare hautement. Nous savons qu’elle se réunit ponctuellement dans le Cabinet de M. l’architecte du Louvre; qu’on ne peui plus apercevoir, par éclats intermittents, M. Redon qu’entre deux portes parce qu’il veille aussi, nuit et jour, parce qu’il conspire, au sein de la Commission,
pour le salut de l’immeuble, do la peinture, de la sculpture qui lui sont confiés. Nous savons que, pour tous les membres de la Commission, pour l’architecte qui gémit avec elle, les plus beaux jours ne sont plus que des nuits d angoisse.
Nous savons tout cela; nous voyons néanmoins 1 auto, les bidons et l’essence coloniaux s’installer, au mépris de toutes les Commissions humaines, en plein milieu du pavillon de Flore. Pauvre Flore ! Pauvre pavillon!
*
* *
Le cri de terreur fut général. Les poêles, les calorifères,