les feux do cheminées ne suffisaient donc plus; il fallait faire intervenir le pétrole !
Mais le ministère, sans rien perdre do cetle auguste sérénité au milieu des orages dont il a déjà donné tant do preuves, sc borne à charger l’agence Fournier de répandre, urbi et orbi, une note encyclique qui nous apprend tout ce que nous ignorons.
Le vulgaire ne sait pas et il juge. Il condamne même! —Le ministère lui pardonne, car il no sait ce qu il fait (le vulgaire, et non le ministère).
Celte note est exquise et demande à être dégustée avec soin, avec art, comme les choses excellentes doivent l’être. Et quel style de haute envergure! C’est un des plus remarquables échantillons, à nous connus, do la littérature administrative. Savourez donc avec toute la componction duc.
*
* *
Avec toute la gravité protocolaire, l’écrivain ministériel débute ainsi :
« On étudie, en ce moment, deux projets qui permettront de résoudre la question du transfert du ministère des Colonies.
« Le premier de ces projets consiste en l’achat par l’Etat do quatre hôtels situés à l’angle de l’avenue Gabriel et de la rue do l’Elysée. Il avait été question déjà, en 1900, de l’ac
quisition de l’un de ces hôtels pour le mettre à la disposition des souverains de passage à Paris... »
Nous aimons à nous figurer d’ici la satisfaction d’amour - propre et le dédain, à peine dissimulés, avec lesquels on nous fait voir que, sans doute, un hôtel suffisant pour un souverain (de passage) est digne de recevoir quelques parcelles des Colonies administratives; mais qu’il serait vrai
ment malséant de supposer, un seul instant, qu’une aussi modeste bicoque put les contenir décemment tout entières.
Donc, quatre hôtels pour le moins, — et simplement pour commencer, — à choisir dans le plus admirable site de Paris, le plus riche et le plus élégant. C’est tout ce que l’on pour
rait consentir à examiner, par pure condescendance. Car rien ne prouve encore que la proposition pût être définitivement acceptée en des termes aussi modestes.
*
* *
Enfin on étudiera; ce qui donne en général, et largement, le temps de la réflexion.
Il y a bien une autre solution à la question dudit transfert : il faudrait alors acheter à la Ville l’Ecole des Frères de la rue Oudinot. Mais...
« Mais cette opération est subordonnée au procès intenté à la Ville par la Congrégation des Frères Saint-Jean de Dieu.
On sait que la Cour do Cassation a renvoyé ce procès devant la cour de Rouen dont on attend l’arrêt. »
Si l’opération est subordonnée, et si elle l’est à un procès qui se promène de Cour en Cour, on comprend très bien que le temps de la réflexion sera probablement tout aussi long de ce côté que de l’autre. Le ministère nous apprend, en toute sincérité, qu’on étudie on ce moment les deux pro
jets qui permettront, tôt ou tard, do résoudre la question qui etc., elc., etc. Il nous affirme même que cello étude est « activement poussée ».
Vous verrez que, si on la pousse si activement que cela, elle fera une chute; et alors tout sera à recommencer.
Moyennant quoi, les Colonies continueront, comme par le passé, à être le plus bel ornement du pavillon que la jeune Flore devrait seule embellir des grâces de sa jeunesse.
*
* *
Nous avons donc un long avenir devant nous et pensons qu’il est, en ce moment, inutile d’insister davantage sur les deux projets (nous on eussions préféré trois, pour en revenir à la méthode Cadcl-Rousselienne). On nous laissera tout le temps d’y penser, soyons-en sûrs.
Revenons au sujet d’actualité : garage et bidons! puisque tel est le mot de passe adopté en ce jour.
On pourrait supposer que le ministère a eu tort de déposer ses essences, son moto-naphla, son pétrole rectifié ou non,
dans le rez-de-chaussée du Louvre. Erreur. Comme si un ministère pouvait jamais avoir un tort quelconque ! Les ministres qui se succèdent, peut-être. Les ministères, jamais.
Tous les torts, c’est nous, contribuables,qui les possédons; et les Colonies s’opposent à ce que nous leur en fassjons cadeau. Voici le secret de cetle constatation bizarre à première vue.
Nous autres contribuables, nous n’existons, aux yeux de l’administration coloniale, que sous l’image représentative de nos députés élus. Or, la Chambre a cru nécessaire de marquer aux Colonies que sa satisfaction n’était pas parfaite.
Elle a rogné dix mille francs sur le budget de ce ministère.
On peut supposerquo la « récalcilrance », connue des Colonies contre tout déménagementavait été l’une des causes de celle insuffisante satisfaction ainsi témoignée.
Que font alors les bureaux coloniaux (rien de vindicatif comme un bureau!): Ah! vous critiquez mon séjour au
Louvre ; vous craignez les incendies et vous serrez les fameux cordons? Alors, nous allons bien voir.
De ce dépit naquirent legarageet le pétrole. A qui lafaute? A la Chambre, à nous tous qui protestons, réclamons dans le désert. Vous ne comprenez pas? Vous allez comprendre :
« Cette réduction a fait notamment que le ministère n’a pu louer, commo par le passé, une remise et une écurie
pour la voiture du ministre. Aucune place ne peut être réservée à cet usage au pavillon de Flore... Un garage d’automobile a été aménagé dans .un des coins du rez-dechaussée du palais. »
Et voilà comme, n’ayant pas pu trouver, sur un budget millionnaire, le prix de location d’une écurie, on s’est vu dans la cruelle nécessité de s’offrir une auto... Et elle doit être soignée, l auto née des économies budgétaires !
*
* *
Les Colonies savent, comme on voit, sc venger de la médisance. Elles no sont pas cruelles cependant. Elles ont tenu,
après nous avoir contraints à leur demander humblement pardon, à nous rassurer un peu sur les conséquences impré
vues de nos escapades budgétaires. Le Louvre ne brûlera pas pour si peu, nous affirment-elles.
La note nous l’apprend : « Le garage est sous une voûte entièrement construite en pierre et qui ne présente aucun
Mais le ministère, sans rien perdre do cetle auguste sérénité au milieu des orages dont il a déjà donné tant do preuves, sc borne à charger l’agence Fournier de répandre, urbi et orbi, une note encyclique qui nous apprend tout ce que nous ignorons.
Le vulgaire ne sait pas et il juge. Il condamne même! —Le ministère lui pardonne, car il no sait ce qu il fait (le vulgaire, et non le ministère).
Celte note est exquise et demande à être dégustée avec soin, avec art, comme les choses excellentes doivent l’être. Et quel style de haute envergure! C’est un des plus remarquables échantillons, à nous connus, do la littérature administrative. Savourez donc avec toute la componction duc.
*
* *
Avec toute la gravité protocolaire, l’écrivain ministériel débute ainsi :
« On étudie, en ce moment, deux projets qui permettront de résoudre la question du transfert du ministère des Colonies.
« Le premier de ces projets consiste en l’achat par l’Etat do quatre hôtels situés à l’angle de l’avenue Gabriel et de la rue do l’Elysée. Il avait été question déjà, en 1900, de l’ac
quisition de l’un de ces hôtels pour le mettre à la disposition des souverains de passage à Paris... »
Nous aimons à nous figurer d’ici la satisfaction d’amour - propre et le dédain, à peine dissimulés, avec lesquels on nous fait voir que, sans doute, un hôtel suffisant pour un souverain (de passage) est digne de recevoir quelques parcelles des Colonies administratives; mais qu’il serait vrai
ment malséant de supposer, un seul instant, qu’une aussi modeste bicoque put les contenir décemment tout entières.
Donc, quatre hôtels pour le moins, — et simplement pour commencer, — à choisir dans le plus admirable site de Paris, le plus riche et le plus élégant. C’est tout ce que l’on pour
rait consentir à examiner, par pure condescendance. Car rien ne prouve encore que la proposition pût être définitivement acceptée en des termes aussi modestes.
*
* *
Enfin on étudiera; ce qui donne en général, et largement, le temps de la réflexion.
Il y a bien une autre solution à la question dudit transfert : il faudrait alors acheter à la Ville l’Ecole des Frères de la rue Oudinot. Mais...
« Mais cette opération est subordonnée au procès intenté à la Ville par la Congrégation des Frères Saint-Jean de Dieu.
On sait que la Cour do Cassation a renvoyé ce procès devant la cour de Rouen dont on attend l’arrêt. »
Si l’opération est subordonnée, et si elle l’est à un procès qui se promène de Cour en Cour, on comprend très bien que le temps de la réflexion sera probablement tout aussi long de ce côté que de l’autre. Le ministère nous apprend, en toute sincérité, qu’on étudie on ce moment les deux pro
jets qui permettront, tôt ou tard, do résoudre la question qui etc., elc., etc. Il nous affirme même que cello étude est « activement poussée ».
Vous verrez que, si on la pousse si activement que cela, elle fera une chute; et alors tout sera à recommencer.
Moyennant quoi, les Colonies continueront, comme par le passé, à être le plus bel ornement du pavillon que la jeune Flore devrait seule embellir des grâces de sa jeunesse.
*
* *
Nous avons donc un long avenir devant nous et pensons qu’il est, en ce moment, inutile d’insister davantage sur les deux projets (nous on eussions préféré trois, pour en revenir à la méthode Cadcl-Rousselienne). On nous laissera tout le temps d’y penser, soyons-en sûrs.
Revenons au sujet d’actualité : garage et bidons! puisque tel est le mot de passe adopté en ce jour.
On pourrait supposer que le ministère a eu tort de déposer ses essences, son moto-naphla, son pétrole rectifié ou non,
dans le rez-de-chaussée du Louvre. Erreur. Comme si un ministère pouvait jamais avoir un tort quelconque ! Les ministres qui se succèdent, peut-être. Les ministères, jamais.
Tous les torts, c’est nous, contribuables,qui les possédons; et les Colonies s’opposent à ce que nous leur en fassjons cadeau. Voici le secret de cetle constatation bizarre à première vue.
Nous autres contribuables, nous n’existons, aux yeux de l’administration coloniale, que sous l’image représentative de nos députés élus. Or, la Chambre a cru nécessaire de marquer aux Colonies que sa satisfaction n’était pas parfaite.
Elle a rogné dix mille francs sur le budget de ce ministère.
On peut supposerquo la « récalcilrance », connue des Colonies contre tout déménagementavait été l’une des causes de celle insuffisante satisfaction ainsi témoignée.
Que font alors les bureaux coloniaux (rien de vindicatif comme un bureau!): Ah! vous critiquez mon séjour au
Louvre ; vous craignez les incendies et vous serrez les fameux cordons? Alors, nous allons bien voir.
De ce dépit naquirent legarageet le pétrole. A qui lafaute? A la Chambre, à nous tous qui protestons, réclamons dans le désert. Vous ne comprenez pas? Vous allez comprendre :
« Cette réduction a fait notamment que le ministère n’a pu louer, commo par le passé, une remise et une écurie
pour la voiture du ministre. Aucune place ne peut être réservée à cet usage au pavillon de Flore... Un garage d’automobile a été aménagé dans .un des coins du rez-dechaussée du palais. »
Et voilà comme, n’ayant pas pu trouver, sur un budget millionnaire, le prix de location d’une écurie, on s’est vu dans la cruelle nécessité de s’offrir une auto... Et elle doit être soignée, l auto née des économies budgétaires !
*
* *
Les Colonies savent, comme on voit, sc venger de la médisance. Elles no sont pas cruelles cependant. Elles ont tenu,
après nous avoir contraints à leur demander humblement pardon, à nous rassurer un peu sur les conséquences impré
vues de nos escapades budgétaires. Le Louvre ne brûlera pas pour si peu, nous affirment-elles.
La note nous l’apprend : « Le garage est sous une voûte entièrement construite en pierre et qui ne présente aucun