Niagara par où s’écouleront des torrents de plus en plus impétueux, on ne saurait exiger des paisibles habitants qu’ils réalisent chaque jour, au péril de leur existence, le tour de force que feu Blondin put seul, sur son fil de fer, mener à bonne fin. On ne peut exiger cela de simples contribuables.
La solution avec balancier sur fil de fer nous semble impraticable et ne saurait être à la portée ni des électeurs ni même de nos éligibles. Il faudra donc en revenir à chercher et trouverquelque disposition plusaccommodéeaux médiocres facultés athlétiques et chorégraphiques de la modeste humanité. Plusieurs fois la question avait déjà été étudiée : passe
relles ou passages souterrains deviendront certainement obligatoires si les événements suivent, comme il est pro
bable, le cours que leur trace M. Hénard en ses raisonnables pronostics.
Elargir indéfinimentest bien ; mais le complément indispensable, c’est la facile traversée. Or, on n’avait, jusqu’à présent,
accepté aucune des dispositions offertes ; il faudra donc, soit y revenir, soit en trouver d’autres.
*
* *
Voilà donc fixée la largeur désormais réglementaire. Traçons maintenant le réseau idéal qui va desservir toutes nos exigences.
Sans entrer ici dans les détails très précis que donne l’auteur, remarquons avec lui que Paris se présente dès à présent avec une triple ceinture : boulevard des fortifications, anciens boulevards extérieurs, grands boulevards intérieurs, prolongés sur la rive gauche par le boulevard Saint-Germain.
Des voies rayonnantes, do pénétration, recoupent ces boulevards et les mettent en communication; mais la plu
part d’entre elles, suffisamment larges dans le trajet de la première à la seconde ceinture (elles sont de création relati
vement récente), se rétrécissent de plus en plus au delà, à mesure qu’elles se rapprochent du centre, ou même s’arrê
tent tout à faitaux grands boulevards qui, dit l’auteur, jouent le rôle de périmètres de rayonnement.
Comme il y a un véritable contresens à rétrécir la largeur de ces voies à mesure que la circulation s’y accumule,
M. Hénard propose de compléter et de rectifier de la manière suivante.
Déjà il avait proposé, comme savent nos lecteurs, une grande croisée formée de deux voies : l’une Nord-Sud, l’autre Est-Ouest. Ceci ne suffirait pas. On devrait isoler en quelque sorte, on dégagerait tout au moins la partie la plus cen
trale, la plus vivante de la capitale, par quatre larges voies formant une ceinture quadrilatère, presque carrée. Puis, de chaque angle, partirait une diagonale allant rejoindre la ceinture extérieure, en utilisant d’ailleurs les parties déjà existantes avec une largeur normale.
Nous ne pouvons indiquer ici que la disposition d’ensemble et les directions générales; il faudra évidemment se reporter au travail même de l’auteur qui a cherché à utiliser tout ce qui était utilisable et s’est bien gardé de lancer ses voies à travers tous les obstacles que l’on pouvait éviter.
C’est ici qu’il faut lui tenir compte de sa sagesse et du soin
avec lequel il s’est efforcé d’échapper à l’inévitable reproche de vandalisme, autant du moins qu’un architecte, peu iconoclaste de sa nature, y peut échapper.
Sur la rive gauche, par exemple, particulièrement riche encore en vestiges du passé, on verra par le passage suivant avec quelle prudence il procède à travers les embûches.
« Ici, dit-il, le tracé se heurte à de graves difficultés. La nouvelle voie, en effet, doit passer, sans les toucher, à tra
vers un groupe de monuments du vieux Paris du plus haut intérêt: Saint-Severin, Saint-Julien-le-Pauvre. le lycée Henri IV, l’Ecole polytechnique, Saint-Etienne-du-Mont. Aucune ligne droite ou assemblage de lignes droites n’y par
viendrait ; nous sommes donc amenés à donner à l’avenue une forme serpentine à inflexions répétées.
« Amorcée à la place Saint-Michel, la nouvelle voie passe d’abord exactement entre la vieille église Saint-Séverin et la très vieille chapelle de Saint-Julien-le-Pauvre. Après une inflexion qui lui permet d éviter la petite chapelle Roumaine, elle attaque obliquement la pente de la montagne Sainte- Geneviève; elle passe entre le pavillon d’entrée de l’Ecole polytechnique et le chevet de Saint-Etienne-du-Mont; à cet endroit, un embranchement courbe, longeant l’église, la relierait au Panthéon. Ce tracé, avec ses pentes et ses inflexions variées, passant au milieu de beaux et anciens monuments, donnerait naissance à toute une série de sites et de points de vue très artistiques qui feraient de l’avenue du Panthéon l’une des voies les plus pittoresques et les plus esthétiques de Paris. »
A combien d’épithètes malséantes M. Hénard s’expose ainsi en sa candeur naïve, c’est évidemment ce dont il ne se doute nullement; sans quoi il n’affronterait pas le double danger suspendu désormais sur sa tête : épée de Damoclès à double tranchant!
Ne sait-il donc pas que, côté pile, il encourt l’indignation des géomètres-ingénieurs, pour qui la pure et inflexible ligne droite est la seule que puisse concevoir un être doué de quel
que raison, et que va exaspérer l’apparition d’une « forme serpentine » à l’usage des boulevards futurs. Pourquoi pas la spirale ou le tire-bouchon appliqués à la locomotion? no manqueront-ils pas de s’écrier ironiquement...
Que, du côté face, il verra se jeter sur lui la meule des archéologues qui, déjà, déclarent connaître assez le goût de nos bâtisseurs pour savoir de quelles horreurs on va doter le Paris nouveau, et démontreront clairement que détruire les plus insignifiantes masures serait le pire des actes de van
dalisme dément qui ait été commis jusqu’à ce jour; que ces prétendue sauvegardes de nos anliques édifices ne sont que leurres, damnable hypocrisie qui décèle les plus noirs desseins, etc., etc., etc.
Mais M. Hénard a le courage de son opinion ; il aura pour lui celle de quelques gens raisonnables, très portés à décou
vrir dans les voies serpentines un charme particulier que ne possédèrent jamais les grandes artères kilométriques. On peut s’en contenter à la rigueur et laisser dire.
Il n’y a pas en ce monde que des ingénieurs-géomètres et des archéologues; et la perpétuité de l’espèce n’en est pas plus mal assurée pour cela.
R. Planat.
La solution avec balancier sur fil de fer nous semble impraticable et ne saurait être à la portée ni des électeurs ni même de nos éligibles. Il faudra donc en revenir à chercher et trouverquelque disposition plusaccommodéeaux médiocres facultés athlétiques et chorégraphiques de la modeste humanité. Plusieurs fois la question avait déjà été étudiée : passe
relles ou passages souterrains deviendront certainement obligatoires si les événements suivent, comme il est pro
bable, le cours que leur trace M. Hénard en ses raisonnables pronostics.
Elargir indéfinimentest bien ; mais le complément indispensable, c’est la facile traversée. Or, on n’avait, jusqu’à présent,
accepté aucune des dispositions offertes ; il faudra donc, soit y revenir, soit en trouver d’autres.
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Voilà donc fixée la largeur désormais réglementaire. Traçons maintenant le réseau idéal qui va desservir toutes nos exigences.
Sans entrer ici dans les détails très précis que donne l’auteur, remarquons avec lui que Paris se présente dès à présent avec une triple ceinture : boulevard des fortifications, anciens boulevards extérieurs, grands boulevards intérieurs, prolongés sur la rive gauche par le boulevard Saint-Germain.
Des voies rayonnantes, do pénétration, recoupent ces boulevards et les mettent en communication; mais la plu
part d’entre elles, suffisamment larges dans le trajet de la première à la seconde ceinture (elles sont de création relati
vement récente), se rétrécissent de plus en plus au delà, à mesure qu’elles se rapprochent du centre, ou même s’arrê
tent tout à faitaux grands boulevards qui, dit l’auteur, jouent le rôle de périmètres de rayonnement.
Comme il y a un véritable contresens à rétrécir la largeur de ces voies à mesure que la circulation s’y accumule,
M. Hénard propose de compléter et de rectifier de la manière suivante.
Déjà il avait proposé, comme savent nos lecteurs, une grande croisée formée de deux voies : l’une Nord-Sud, l’autre Est-Ouest. Ceci ne suffirait pas. On devrait isoler en quelque sorte, on dégagerait tout au moins la partie la plus cen
trale, la plus vivante de la capitale, par quatre larges voies formant une ceinture quadrilatère, presque carrée. Puis, de chaque angle, partirait une diagonale allant rejoindre la ceinture extérieure, en utilisant d’ailleurs les parties déjà existantes avec une largeur normale.
Nous ne pouvons indiquer ici que la disposition d’ensemble et les directions générales; il faudra évidemment se reporter au travail même de l’auteur qui a cherché à utiliser tout ce qui était utilisable et s’est bien gardé de lancer ses voies à travers tous les obstacles que l’on pouvait éviter.
C’est ici qu’il faut lui tenir compte de sa sagesse et du soin
avec lequel il s’est efforcé d’échapper à l’inévitable reproche de vandalisme, autant du moins qu’un architecte, peu iconoclaste de sa nature, y peut échapper.
Sur la rive gauche, par exemple, particulièrement riche encore en vestiges du passé, on verra par le passage suivant avec quelle prudence il procède à travers les embûches.
« Ici, dit-il, le tracé se heurte à de graves difficultés. La nouvelle voie, en effet, doit passer, sans les toucher, à tra
vers un groupe de monuments du vieux Paris du plus haut intérêt: Saint-Severin, Saint-Julien-le-Pauvre. le lycée Henri IV, l’Ecole polytechnique, Saint-Etienne-du-Mont. Aucune ligne droite ou assemblage de lignes droites n’y par
viendrait ; nous sommes donc amenés à donner à l’avenue une forme serpentine à inflexions répétées.
« Amorcée à la place Saint-Michel, la nouvelle voie passe d’abord exactement entre la vieille église Saint-Séverin et la très vieille chapelle de Saint-Julien-le-Pauvre. Après une inflexion qui lui permet d éviter la petite chapelle Roumaine, elle attaque obliquement la pente de la montagne Sainte- Geneviève; elle passe entre le pavillon d’entrée de l’Ecole polytechnique et le chevet de Saint-Etienne-du-Mont; à cet endroit, un embranchement courbe, longeant l’église, la relierait au Panthéon. Ce tracé, avec ses pentes et ses inflexions variées, passant au milieu de beaux et anciens monuments, donnerait naissance à toute une série de sites et de points de vue très artistiques qui feraient de l’avenue du Panthéon l’une des voies les plus pittoresques et les plus esthétiques de Paris. »
A combien d’épithètes malséantes M. Hénard s’expose ainsi en sa candeur naïve, c’est évidemment ce dont il ne se doute nullement; sans quoi il n’affronterait pas le double danger suspendu désormais sur sa tête : épée de Damoclès à double tranchant!
Ne sait-il donc pas que, côté pile, il encourt l’indignation des géomètres-ingénieurs, pour qui la pure et inflexible ligne droite est la seule que puisse concevoir un être doué de quel
que raison, et que va exaspérer l’apparition d’une « forme serpentine » à l’usage des boulevards futurs. Pourquoi pas la spirale ou le tire-bouchon appliqués à la locomotion? no manqueront-ils pas de s’écrier ironiquement...
Que, du côté face, il verra se jeter sur lui la meule des archéologues qui, déjà, déclarent connaître assez le goût de nos bâtisseurs pour savoir de quelles horreurs on va doter le Paris nouveau, et démontreront clairement que détruire les plus insignifiantes masures serait le pire des actes de van
dalisme dément qui ait été commis jusqu’à ce jour; que ces prétendue sauvegardes de nos anliques édifices ne sont que leurres, damnable hypocrisie qui décèle les plus noirs desseins, etc., etc., etc.
Mais M. Hénard a le courage de son opinion ; il aura pour lui celle de quelques gens raisonnables, très portés à décou
vrir dans les voies serpentines un charme particulier que ne possédèrent jamais les grandes artères kilométriques. On peut s’en contenter à la rigueur et laisser dire.
Il n’y a pas en ce monde que des ingénieurs-géomètres et des archéologues; et la perpétuité de l’espèce n’en est pas plus mal assurée pour cela.
R. Planat.