dins publics où des tuberculeux passent la journée, crachant dans le sable des microbes que les enfants absorbent en jouant. Combien de pauvres bébés ont été ainsi contaminés sans qu’on en ait découvert la cause! Donc, un jardin public
n’est salubre, à mon avis, qu’à la condition d’être fermé et entouré de larges trottoirs lavés tous les jours. »
Conclusion : ne créez plus de jardins ; mais décorez le plus de mairies possible, rien n’est meilleur pour la santé publique.
Il faut les lire dans le Itullctin officiel pour croire que de semblables paradoxes ont pu être sérieusement soutenus.
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Nous avions tous cru que le meilleur moyen de combattre la tuberculose qui ravage la population des villes, était de fournir de l’air, beaucoup d’air, et le plus pur possible.
Erreur de notre part! Plus nous créons de jardins publics et plus nous multiplions les foyers de contamination. Le seul
remède est d’enfermer et de confiner, dans les taudis que nous connaissons, tout le monde : hommes, femmes ou enfants, sains ou malades!
Effectivement, quand toute la population aura péri par ce régime extraordinaire, il est probable que le fléau ne se pro
pagera plus, ne trouvant plus chez qui se propager. Là est le remède véritablement héroïque.
Nous prions également nos lecteurs de savourer toute l’originalité de cette proposition subséquente: un jardin public n’est salubre qu’à la condition d’êlre hermétiquement fermé.
Mais, cher monsieur, un jardin qu’on ferme à tout le monde ne peut plus décemment être considéré comme jardin public. Or que demande-t-on à un jardin public? C’est d’être un endroit ombragé et frais l’été, bien exposé au soleil pen
dant l’hiver, où les femmes puissent aller travailler, et les enfants jouer en plein air, au lieu de rester confinés dans une pièce étroite et malsaine.
Si vous convertissez nos jardins en enclos municipaux dont l’entrée soit interdite, que devient le bienfait, bien par
cimonieusement mesuré, qu’apportaient nos anciens jardins à la population? Il lui faudradonc rester comme jadis dans ses taudis et contempler de loin ces mystérieux enclos dont l’entrée lui sera désormais interdite? Et vous croyez que c’est le meilleur moyen de combattre la tuberculose?
Soyons équitable: on nous réserve, il est vrai, des trottoirs lavés tous les jours, et qui circonscriront le lieu de délices défendues. Mais qu’y pourront faire les femmes et les enfants dont nous parlions tout à l’heure? Déambuler comme sur une piste, du matin au soir, le long decetle bande circulaire,
rectangulaire ou elliptique, dûment revêtue d’un asphalte suffisamment comprimé?
Exercice vraiment salutaire et gai. El cela cmpôchcra-t-il les tuberculeux de cracher par terre? *
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Nous rêvons pelouses, arbres et arbrisseaux, fleurs et arbustes; telle n’est pas du tout la façon dont le Conseil muni
cipal envisage la question. Pour lui, tous ces accessoires sont de la poésie pure, sans aucune utilité pratique. En quoi il se trompe du tout au tout, car ce genre particulier do poésie est encore ce que la pratique la plus expérimentée a découvert de plus salutaire.
Mais le Conseil envisage les choses à un point de vue infiniment supérieur, vraiment municipal et tout à fait utilitaire. — L’utilitaire ne doit jamaisêtreconfondu avec l’utile.
Pour lui, ces jardins, ces parcs ne sont que des réservoirs d’air édilitaires; on les évalue et on les estime au mètre cube. Surface et capacité, tout est là, le reste n’est qu’accessoirc,
de pure imagination; et le mieux, comme on disait tout à l’heure, est que le réservoir soit fermé pour ne pas perdre un pouce de cette précieuse capacité.
La règle idéale serait évidemment de déterminer, par arrondissements et quartiers, la somme des habitants séden
taires, celle des habitants passagers auxquels on appliquerait un coefficient déterminé de réduction; puis le volume moyen de ces contribuables divers, l’âge, la profession, etc. D’après une loi toute mathématique, et en tenant compte de l’étendue des locaux, on arriverait â fixer administrative
ment le nombre de décimètres carrés, en trottoirs bitumés et lavés, le nombre de centimètres cubes d’air titré, auquel aurait droit chacun de ces quartiers et arrondissements. Cet air serait réparti, à son tour, en un certain nombre do cloches analogues à celles de la Compagnie du gaz.
C’est alors que nous verrions régner la plus parfaite salubrité qu’on eût jamais pu rêver et que disparaîtraient toutes les maladies infectieuses dont les villes sont de si parfaits bouillons de culture!
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On croit peut-être que nous exagérons?— Point.
Prenez la peine de lire cet éloquent passage du discours prononcé par un autre conseiller, pleinement imbu dos vérités scientifiques, édilitaires et administratives que nous venons d’énumérer.
« S’il est intéressant, dit-il, de faire à Paris des réservoirs d’air, — ces fameux réservoirs d’air dont on parle tant! — il en existe un à 120 ou 130 mètres de là : c’est la place de la République. Un réservoir d’air peut être utile à un kilo
mètre de la place de la République, et non à 130 mètres. »
En effet, quand on possède déjà un terrain libre comme cette place émaillée de trottoirs, de refuges, de chaussées, parcourue en tous sens par d’innombrables tramways, par
des camions; décorée d’une infinie variété de kiosques pour omnibus et journaux ; quand cet Eden est situé à 130 mètres seulement du Temple, qu’est-ca que viendrait donc réclamer ce même quartier du Temple?
Rien n’empêche les enfants d’aller se faire écraser sous les véhicules de toutes sortes : il y en a pour tous les goûts. Est-ce que les modestes ménagères no peuvent pas aller tra
vailler, pour gagner leurs journées, au milieu de ce tohubohu divertissant? Est-ce que tous n’ont pas pleine liberté d’aller respirer les vapeurs saines et fortifiantes du crottin de cheval, des boues de la ville, la poussière embaumée par les émanations de la chaussée, de l’égout et du trottoir ?
Demander davantage, c’est tomber dans l’abus excessif ; et le Conseil municipal nous Ta bien fait voir. A l’avenir, quand nous solliciterons le plus médiocre des squares, com
mençons par décrire, au décamètre, à la boussole ou au sladia, un cercle autour du carrefour le plus fréquenté qui se trouve dans le voisinage ; et assurons-nous d’abord que