BAGATELLES
Celles dont nous voulons parler ici sont des querelles véritablement enfantines qui se sont élevées entre la Préfecture
de la Seine et le Conseil municipal de Paris. Et c’est le domaine de Bagatelle qui, par son nom même, était prédestiné à y donner naissance.
Nos lecteurs savent qu’une Exposition fort intéressante y fut organisée, il y a quelques semaines, et qu’elle obtint,
d’ailleurs, un fort joli succès. Mais il paraît que des erreurs hiérarchiquement administratives avaient été commises ; que le Conseil municipal se crut blessé dans sa dignité, qu’il fit enfin tant et si bien que la Ville y va perdre une excellente aubaine qui lui était gracieusement offerte.
Voici toute l’histoire, dont on connaît déjà les préliminaires.
Sachant qu’il y avait à Bagatelle des pavillons libres dont on ne savait que faire pour le moment, des collection
neurs avaient offert d’y organiser une exposition des pièces principales de leurs collections. L’entrée fut payante, et le produit était destiné à l’acquisition d’œuvres qui, plus tard, constitueraient peu à peu un musée.
Le moment où cette proposition fut faite était des plus favorables : la Saison de Paris battait son plein; quelques semaines plus tard, la capitale allait se trouver abandonnée par tout le public de loisir qui est friand de ces sortes d’inaugurations. Il n’y avait donc pas de temps à perdre.
Dans ces circonstances, le Préfet crut bien agir en n’attendant pas que le Conseil municipal, alors en vacances, pût enfin se réunir. Il fallait saisir l’occasion aux cheveux;
d’autant plus que, à tarder pendant plusieurs semaines, on risquait de voir les collectionneurs changer d’idée.
Le Préfet accepta donc la proposition qui lui était faite, tout en réservant correctement les droits du Conseil. L’ouver
ture eut lieu; l’exposition des tableaux anglais, des meubles et sculptures du xviiie siècle attira le public; la recette se monta à une quarantaine de mille francs.
Le début était des plus encourageants. Mais il vient d’arriver que les collectionneurs ont brusquement retiré leurs collections, et déclaré qu’ils reprenaient définitivement les œuvres qu’ils s’étaient proposé de donner gratuitement au futur musée. Plusieurs d’entre elles iront au Louvre ou à d’autres musées de l’Etat.
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Ce qui s’était passé, le voici.
A sa rentrée, le Conseil commença par blâmer le Préfet d’avoir, même à titre temporaire et sous réserve, pour l’avenir, des décisions du Conseil, concédé les bâtiments de Bagatelle. D’ailleurs il faut, en règle générale, que la Préfec
ture rédige un mémoire et attende un vote du Conseil. Peu importe que les occasions uniques puissent échapper, le mémoire d’abord, le vote ensuite sont indispensables.
Un autre crime avait été commis : le Conseil n’avait pas été invité à l’inauguration!... Assurément, celte invitation eût été de rigueur en temps de session; mais, pendant les vacances et les conseillers pouvant s’êti’e dispersés, on ne saurait voir là un bien grave manque de courtoisie. En tout
cas, l’affaire méritait à peine une simple observation en passant. Il paraît cependant que c’est une affaire d’État.
Le Conseil, malheureusement, ne s’en tint pas là.
Un premier conseiller, probablement peu ami des arts, considérés par lui comme de vastes inutilités, commença par déclarer que les visiteurs attirés par les tableaux et les œuvres du xviiie siècle, ne sont « que des jobards qui vont se faire plumer ». Ils ne se sont pas, en tout cas, fait plumer pour de bien fortes sommes.
Un secondconseiller, d’une méfiance exemplaire, demanda si les recettes avaient été contrôlées. Il craignait évidemment que les collectionneurs qui prêtaient gratuitement leurs col
lections, n’eussent voulu subrepticement empocher les entrées.
S ils n’avaient pas été cependant jusque-là, l’orateur se rabattait au moins sur une autre supposition: c’est que -ces exposants avaient voulu se faire décorer au 14 juillet.
Mais, ferons-nous observer, ce désir, s’il a existé, ne saurait être considéré comme un crime d’une exceptionnelle gravité, car il est journellement commis par la majorité de nos compatriotes, et la décoration du 14 juillet a parfois récompensé de moindres services. *
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Un troisième membre du Conseil avait découvert des arguments d’un ordre bien plus élevé et plus général encore, ainsi qu’il le déclara lui-même.
a Nous ignorons absolument, dit-il, ce que deviendront les œuvres exposées, et, d’autre part, nous n’avons aucune garantie de l’authenticité des œuvres exposées. Les unes sont fort belles et authentiques ; les autres peuvent ne pas l’être.
Mais elles le deviendront, pour certaines, par le fait même de votre hospitalité, et à l’Hôtel des Ventes, elles jouiront du bénéfice de ce caractère d’authenticité qu’elles n’avaient pas auparavant... »
Certes, personne ne peut ignorer tous les trafics, avoués ou inavouables, auxquels se prête l’authenticité prétendue des œuvres d’art. Mais est-il bien certain, comme l’affir
mait ce conseiller, que le seul fait d’avoir momentanément figuré dans une exposition à Bagatelle suffirait pour devenir la marque officielle d’une authenticité contestable ou contestée?
Cette exposition n’avait, en réalité, aucun caractère officiel ; elle n’était le résultat que d’une initiative toute privée. Elle ne pouvait donc apporter aucune sanction, elle ne pou
vait pas imprimer, sur chaque toile, la moindre marque de garantie du gouvernement. Alors, que devient cette objection d’intérêt si général ?
Il résultait de là que le Conseil municipal considérait comme œuvre de spéculation, comme tentative d’intérêts pécuniaires ou d’ambitions mal dissimulées, le simple con
cours d’amateurs qui offraient gratuitement l’exposition de leurs collections, fournissaient à la Ville le moyen de se pro
curer des recettes suffisantes pour l’acquisition d’œuvres dignes d’un nouveau musée, qui offraient même de laisser plus tard à la Ville des œuvres faisant partie de leurs collections.
On conçoit assez facilement que les exposants, accueillis et