aufond,nul n’en a cure, pourvu qu’elleaitobtenu l’estampille officielle.
Ne connait-on pas quelques exemples de colossales erreurs, de spéculations... hardies que favorisait cette estampille ? Il
serait hasardeux de le nier. Et cependant, malgré de cruels avertissements, le mal sévit plus que jamais, et le critique était malheureusement trop autorisé à le dire:
« Les amateurs sont naturellement enclins à acquérir cette marchandise qui a un cours. Ils estiment que les collections garanties par l’expert sont des valeurs de tout repos, et ils ne fréquentent pas les ateliers des artistes jeunes dont le talent n’a pas encore été estimé à l’hôtel Drouot. »
Jadis, la joie et l’honneur du véritable amateur était de découvrir lui-même les talents encore inaperçus ; il y fallait du goût et des connaissances sûres d’elle-même. L’amateur soutenait, encourageait l’artiste; et il s’est trouvé qu’en fin de compte il réalisait une excellente opération, sans l’avoir cherchée, lorsqu’il avait eu du flair.
Aujourd’hui, on cherche l’excellente opération, sans s’apercevoir qu’elle est devenue extrêmement rare, et que, le plus souvent, on se trouve finalement dupe d’une spéculation dont le bon marchand est généralement... le marchand. Quant à rechercher des talents naissants, qui diable s’en soucierait?
On attend d’ordinaire qu’un artiste, qui était effectivement un grand artiste, ait atteint l’âge ou la période où il ne fait plus que se répéter lui-même et recommencer indéfiniment
l’œuvre qui lui valut son premier succès. L’artiste ne doit plus cherchera sortir de là, l’amateur ne le lui permettrait pas. En art, chacun a aujourd’hui sa spécialité, depuis la crevette jusqu’à la femme anémique, depuis les couchers de soleil en cuivre jusqu aux aubes d’argent, de la bruyère à la fougère, etc.
Qu’il se soit fixé à Venise ou sur les bords de la Marne, le peintre ne devra pas tenter une sortie au delà, personne ne l’y suivrait. Ses redites pourront devenir fastidieuses, personne no s’en apercevra ou ne voudra s’en apercevoir.
C’est sa marque do fabrique, elle est cotée en Bourse. De là le placement de tout repos.
*


* *


Dans cette déplorable transformation de l’art et des mœurs artistiques, l’expert a joué un rôleprépondérant. Aussi com
mence-t-on à redouter quelques abus — qui sont déjà passés en usages; — quelques personnes naïves avaient même eu la pensée, un moment, d’imposer un diplôme aux experts.
On ne voit pas très bien quel serait l’examen à leur faire passer :
1° pour fournir la preuve d’une scrupuleuse probité;
2 la preuve de connaissances infailliblesen matière d’art. Passons sur le premier point, en attendant qu’on ait découvert une nouvelle pierre de touche, ou la baguette de cou


drier qui révélera les intentions souterraines du futur expert.


Mais, pour la seconde épreuve, comment s’y prendrait-on? Demandera-t-on, oralement, d’exposer la différence qu’il y a entre un médiocre Corot et un bon Trouillebert; ou bien en quoi la tiare du Louvre pèche contre la vraisemblance? — Co serait faire injure aux érudits les plus autorisés en pareille matière.
Le néophyte sera-t-il tenu d’expliquer pourquoi telles
toiles de nos grands musées, particulièrement chères aux conservateurs, membres de l’Institut, professeurs aux cours de ces établissements, sont de véritables croûtes, bien qu’entourées de la vénération officielle ; tandis que des œuvres vraiment originales et belles, objet de tous les dédains chez MM. les hauts fonctionnaires, sont reléguées en des greniers poudreux pour faire place aux objets peu inté
ressants de leur choix, ou bien de leurs recherches, de leurs études, ou bien de leurs préférences personnelles?
Nul n’est infaillible en ces matières, et l’infaillibilité officiellement garantie, patentée par diplôme, n’aurait pas plus de valeur que les jugements même des juges qui auraient décerné le diplôme.


A quoi il faut revenir, c’est à ce que demande M. Nozière quand il dit fort justement : « Ce n’est pas la signature,


mais l’œuvre d’art qu’on devrait payer, et pourtant on ne paie actuellement que la signature. Le jour où les amateurs
n’achèteront plus des noms célèbres, mais des statues et des tableaux qui leur plairont, les jeunes artistes seront moins malheureux. Ils gagneront plus facilement leur pain
quotidien et ils travailleront plus joyeusement, parce qu’ils seront mieux compris. »
Voilà qui est excellemment dit, l’intention n’est pas moins excellente. Mais comment atteindre un but aussi éloigné, si éloigné qu’il faut de bons yeux pour l’apercevoir?
Le seul correctif à prévoir pour l’instant, ce sont des chutes retentissantes comme celles qu’ont éprouvées quelques gigantesques spéculations sur des œuvres, de réelle valeur,
mais abominablement surfaites; tout le monde en connaît l’aventure, suivie de quelques autres.
Une presse honnête, et peu incline à entrer, elle aussi, dans la spéculation, y pourrait contribuer en insistant chaque jour sur le dangerde ces « coups montés » qui curent leur heure de succès, mais touchent à leur déclin ; en signalant avec insistance qu’il y a, dorénavant, plus de mérite, avec plus de chances de réussite, à découvrir et encourager les talents de l’avenir.
Mais qui se chargera de donner ce coup de balai obligatoire?
P.


LES FORTIFS


Le débat traîne un peu en longueur, par la force même des choses ; après bien des redites obligatoires, nous ne voudrions pas fatiguer l’attention de nos lecteurs en les rame
nant toujours sur le même sujet. Nous ne ferons aujourd’hui que révéler le « fait nouveau ». Nouveau pour le public qui, n’étant pas admis dans les coulisses de nos officines publi
ques, ne connaît pas ces menus incidents, même lorsqu’il en fait les frais.
Il n’est jamais venu à l’idée de personne d’aller chercher ces petites révélations entre les lignes de nos formidables budgets, à travers les broussailles impénétrables do ces forêts viorges.
Des allées et venues entre l’Etat cl la Ville — qui joue ici le rôle sympathique — des marchandages entre l’un et l’autre pour arracher quelques arbres de plus à l’âpreté finan