Paris, 22 octobre.
Monsieur le Rédacteur en chef,
Voulez-vous permettre à un de vos très anciens abonnés de dire son mot sur l’horrible accident qui nous a tous émus, un mot qui semblera sans doute à certains bien désabusé, mais, j’ai déjà vu tant de fois l’opinion publique se dresser violemment pour se calmer aussi
vite, laissant les pouvoirs publics mis en branle enterrer la question en douceur.
De nombreuses vies humaines sacrifiées ont amené la presse quotidienne à réagir avec sa violence accoutu
mée, qui n’a d égale que sa versatilité, et c’est à croire qu’une maison s’écroule par semaine. Avez-vous remar
qué à cet égard que les victimes du revolver se comptent annuellement par milliers, sans qu’on songe à réglementer sérieusement la vente des armes.
C’est donc l appel habituel aux pouvoirs publics. Que peut-on leur demander ?
L’obligation de ne délivrer un permis de construire que si le projet est signé par un architecte donnant des garanties professionnelles. Nous sommes d’accord sur le principe ? mais où commencera et où finira la qualité professionnelle du signataire ? J’ai de bonnes raisons de désirer que le critérium soit l’affiliation à une de nos grandes sociétés, mais je ne veux pas revenir sur la question de la réglementation de la profession, vos lecteurs l’ont, vue présentée sous toutes ses faces par la C. M., et elle seule, en 1924-25. Ne perdons pas de vue seulement qu’ici il ne s’agit pas d’esthétique mais de résistance des matériaux. Pouvons-nous sérieusement espé
rer qu’on imposera pour une construction d’usine (et un atelier peut également en s’écroulant faire des vic
times), que l’ingénieur soit doublé d’un architecte. Ne perdons pas de vue que l’argument tiré de la catastro
phe de Yincennes porte essentiellement sur l’emploi de matériaux nouveaux qui exigent de nous des, connaissan
ces d’ingénieur, mais qu’un ingénieur peut utiliser sans la formation artistique qui est le propre de l’architecte.
Alors la demande d’autorisation de construire devra-t- elle être signée par un architecte ou un ingénieur ? Estce bien notre intérêt de faire mettre en évidence cette dualité ? Où commence et où finit l’ingénieur, alors que je crois me souvenir que les ingénieurs se sont prononcés contre la réglementation de leur profession.
Dans le même ordre d’idées, croit-on que nos parlementaires ruraux accepteront qu’un petit cultivateur ne puisse agrandir son bâtiment sans recourir à un archi
tecte habitant au chef-lieu et qui ne se souciera guère de pareille besogne.
Voyons plus avant. On a parlé de l’urgence d’une réforme à la veille de l’éclosion de constructions nées de
la loi Loucheur. Pouvons-nous espérer sérieusement que toutes les constructions H. B. M. seront obligatoirement faites par nos soins alors qu’il semble bien que des so
ciétés de construction, sans parler des fonctionnaires, s’apprêtent à nous concurrencer et que les pouvoirs pu
blics en préparant des modèles-types de construction H. B. M. paraissent convier le public à s’adresser directe
ment à l’entrepreneur. N’espérons pas qu’on consentira à grever nécessairement ces constructions de nos honoraires.
Qu’on ne se méprenne pas sur ces quelques réflexions, je souhaite autant que quiconque de mes confrères que seul un architecte qualifié puisse être dans tous les cas
le maître de l œuvre, mais je crains que cela ne soit pas possible pratiquement, dans les grandes villes pour beaucoup de constructions, dans les campagnes pour presque toutes.
Reste alors l’autre solution à laquelle certains ont songé : contrôle administratif des constructions et je me suis laissé dire qu il existe dans certains pays étran
gers ; je ne sais sous quelle forme, mais je ne le. souhaite ni à mes confrères ni à ma profession.
Craignons les mesquineries du certificat de sécurité après celles du certificat de salubrité et puis qui ne sait que plus d’un plan soumis au voyer et agréé par lui présente quelques différences avec celui réalisé ; en ma
tière de sécurité on ne saurait tolérer ces différences, alors il faudra un inspecteur administratif par chantier. Que d’autres arguments on pourrait opposer à ces cons
tructions avec garantie du gouvernement, un contrôle forcément timoré devant s’ingénier à freiner tout essai, toute ingéniosité en faveur d’une routine, de tout repos.
Mais il me faut terminer ces trop longues réflexions. Sans conclure ? — Oui, si vous attendez de moi une con
clusion tranchante et de principe ; j’ai surtout confiance dans les solutions de détail. Nous, liquidons en ce mo
ment les aventuriers des R. I-., ceux-ci finiront bien par disparaître, et, après eux, l’exemple de confrères probes et éprouvés évitera à des propriétaires des expériences qui, pour être à première vue tentantes ne s’en révèlent pas moins à la fin désastreuses. Les sociétés de crédit ne
seront pas les dernières à en faire leur profit. Groyezvous que celle qui semble être prise dans l’affaire de Yincennes est près de recommencer des avances aventu
reuses. Et ceci aussi est une solution de détail à un abus qui est plus spéculatif que technique. Craignons que si on veut y parer par des mesures d’ordre professionnel, le remède ne se découvre vite pire que le mal.
Veuillez...
H. L.