Le Gœtheanum à Dornach (Suisse)

Par M. RUDOLF STEINER

(.Planches 21 et 22)

L

orsqu on sort de Bâle par le sud, on s’engage dans une large vallée fertile qui prolonge pendant quelques kilomètres la plaine d’Alsace ; c’est la vallée de la Birse, couverte de prairies à l’herbe drue, haute et épaisse, plantée d’arbres fruitiers qui en font un immense verger. Au sommet d’une des collines domi
nant tout le pays, se dresse une énorme construction dont les formes inhabituelles frappent et étonnent : un bloc de ciment largement modelé qui semble s’arracher du sol, arc-bouté sur deux piliers géants. C’est le « Goetheanum ». Il se campe, robuste et massif sur une vaste terrasse, qui le ceinture comme d’une courtine, appuyée par de solides contreforts. La masse s’impose jusqu’à l’écrasement. Cependant, bien que ses formes inédites s’éloignent des types architectoniques connus, elles s harmonisent avec le paysage environnant. Le profil du monument s’apparente très nettement à la ligne d’une des collines qui lui font face. Orienté vers l’ouest, sa fa
çade est exposée aux vents dominants, aux vents de pluie,
agents les plus puissants de l’érosion. Aussi paraît-elle modelée par des forces.naturelles qui l’auraient lentement travaillée et amenuisée, tandis que la partie postérieure, protégée des intempéries, se dresse fruste, avec des angles nets et des arêtes aiguës. On sent que le Gœtheanum a été conçu dans l’esprit du pays.
Mais la recherche de formes nouvelles qu’on y perçoit n’a pas été dominée seulement par des soucis de paysa
giste. D’autres intentions s’y manifestent. 11 faut les chercher dans les raisons qui ont fait élever en pleine campagne ce vaste monument. Il est destiné à abriter les réunions de la Société Anthroposophique et la recherche de formes artistiques nouvelles est une des activités, et non des moindres, que propose l’Anthroposophie.
Le plan général et la maquette du monument sont l’œuvre de Rudolf Steiner, le fondateur du mouvement anthroposophique, hardi novateur dont le génie quasi universel a embrassé les activités les plus diverses. La mort ne lui a malheureusement pas permis de diriger l’achèvement du Gœtheanum, ni même d’en donner les plans de détail. Il a été terminé par ses disciples et ses élèves.
Les formes architectoniques recherchées par Rudolf Steiner et ses continuateurs ont cette originalité d’être en rapport étroit avec son enseignement philosophique et ésotérique. Des idées nouvelles, un esprit ou un idéal nouveaux lorsqu’ils ne s’adressent pas uniquement à l’intelligence abstraite, mais tendent à façonner l’être
(1) Ce monument élevé à Dornach (Suisse) a été inauguré le 29 septembre dernier.
tout entier, ont évidemment pour -effet d’engendrer des formes artistiques inédites. Mais, c’est un effet qui ne se produit d’ordinaire qu’à la longue, après de multiples tâtonnements, et souvent de façon presque inconsciente chez l’artiste novateur. Ce n’est qu’avec le recul du temps que l’on peut discerner les influences qui ont agi sur l’inspiration ou transformé le goût.
C’est au contraire de propos délibéré, et avec une pleine conscience du but à atteindre et des moyens employés
Le Gœtheanum. — Coupe et plan :
M. Rudolf Steiner, Architecte.