Les résiliations des baux moyennant indemnité
L
a loi du 13 juillet 1925 a institué une taxe d’enregistrement de 10 p. cent en principal, soit 12 p.
cent avec les décimes, sur le prix de toute cession du droit à un bail ou au bénéfice d’une promesse de bail d’immeuble, quelle que soit la forme et quelle que soit la qualification donnée à la convention par les parties ; elle n’a fait d’exception que pour les cessions se rattachant à une mutation de fonds de commerce.
Le but poursuivi par le législateur a été d’atteindre, sinon de réfréner la spéculation à laquelle, comme con
séquence de l’état d’après-guerre, donnaient lieu les transmissions de baux, et, notamment, celle qui consis
tait, de la part d’un locataire dans les lieux, à exiger de son successeur une somme parfois élevée comme contre
partie de l’abandon de son bail, et indépendamment du loyer payable au propriétaire ; les tractations de cette na
ture, qui avaient atteint un développement d’autant plus considérable que la crise, du logement mettait les nouveaux occupants à la merci des cédants, n’étaient, en ef
fet, autre chose, en dépit de leur qualification habituelle: indemnité de départ, denier d’entrée, ou pas de porte,
— que des cessions de droits incorporels dont le prix, jusqu’alors non spécialement imposé au tarif fiscal, consistait dans les sommes d’argent ainsi versées.
La question s’est posée de savoir si cette disposition est également applicable aux résiliations de baux consen
ties, moyennant indemnité, par les propriétaires à leurs locataires.
L’administration s’est prononcée tout de suite pour l’affirmative.
Elle a fait valoir que, d’après l’exposé des motifs, l’intention du gouvernement a été de frapper les cessions de baux de toute nature, le texte ayant, sous la réserve de l’exception faite en faveur des transmissions qui accompagnent, les fonds de commerce, une portée géné
rale. A son avis, la résiliation d’un bail avec indemnité
présente, avec le contrat de cession de bail, une analogie presque complète ; comme ce dernier contrat, elle im
plique deux opérations, l’une portant sur la jouissance et passible du droit de bail, l’autre affectant une valeur mobilière ; elle rentre, par suite, dans l’esprit de la loi, bien que cette dernière n’énonce expressément que les cessions de baux.
Au surplus, prétend-elle, une telle taxation satisfait également au vœu du législateur, les réalisations pou
vant avoir pour cause les mêmes spéculations que les cessions de baux proprement dites.
Cette argumentation n’est, ni déterminante, ni fondée, et il est aisé de la réfuter sur les deux points qu’elle met en lumière.
La théorie administrative part du principe de l’assimilation des résiliations aux cessions de baux, pour leur
reconnaître, comme à ces dernières, un caractère translatif ; or, loin de souffrir le moindre rapprochement, ces deux modes de contrat sont, au contraire, juridique
ment bien distincts ; ceci découle de leur définition
même. L’un s’analyse en une vente pure et simple, par un locataire à un tiers qu’il se substitue, de ses droits personnels de jouissance, à charge de remplir ses obli
gations vis à vis du bailleur ; l’autre est une convention par laquelle le bailleur reprend la jouissance de sa chose à l’expiration de son bail. 11 s’ensuit que, tandis que l’un engendre une mutation dont l’objet est un droit temporaire de jouissance, l’autre constate simplement l’extinction de ce droit de jouissance.
Poussant plus loin la démonstration, le bail ne confère, en principe, au preneur, en dehors d’un droit personnel, aucun droit sur la chose louée ; le seul engagement du bailleur vis-à-vis du preneur, est, en contre
partie de la redevance que représente le loyer, de le faire jouir de cette chose ; lorsqu’intervient la résiliation, la redevance cesse avec la jouissance ; dès ce moment,
le preneur n’a rien à céder au bailleur ; ce dernier est automatiquement réintégré dans sa jouissance, laquelle est inhérente à son droit de propriété, et ce, sans l’effet d’aucun transfert de la part du preneur.
De toute façon, la résiliation apparaît, non comme une rétrocession, mais comme une cessation de conventions ou d’obligations réciproques ; son caractère est donc, à l’inverse de la cession de bail, de ne donner lieu à au
cune transmission, et comme ie propre de la taxe de 12 p. cent est d’être un impôt de mutation, ainsi que l’Administration l’a reconnu, soit dans ses instructions à ses services, soit dans ses solutions, le principe de la loi ne peut jouer à son égard.
L’argument de fait tiré de la spéculation est de même sans portée ; toute spéculation suppose un objet ; or, ici, l objet fait défaut puisque le droit au bail disparaît avec la convention qui met fin au bail. La spéculation, en outre, suppose des transactions successives, portant sur une même chose à laquelle est attribuée une valeur de plus en plus forte, et tel n’est évidemment pas le cas dans l’espèce.
A la vérité, le système de Γadministration part d’un point de vue erroné, qui la conduit à étendre, abusive
ment et contrairement aux règles de la matière fiscale, une disposition exceptionnelle à un cas non prévu.
Les tribunaux ont, d’ailleurs, déjà fait justice de sa manière de voir, et en particulier le Tribunal de Lyon dans un jugement du 22 juin 1927 dont les motifs méritent d’être partiellement rapportés :
« Attendu, y est-il dit — que s’il ne confère au preneur aucun droit réel, le bail lui donne le droit d’exiger du bailleur la jouissance de la chose louée ; que