Propriété et Fiscalité




Par E. MICHEL.


(Suite. Voit C. M. du 31 mars 1929)


D


epuis 1914 trois calamités se sont abattues sur la France : 1“ la guerre ; 2° les Comité d’experts, les politiciens et tes spéculateurs d’après guerre; 3° l’abandon progressif des traditions de moralité et d’honnêteté professionnelles dans un grand nombre de corporations et dans le corps des fonctionnaires.
Or tout ceci s’est peu à peu traduit par de nombreuses répercussions économiques et financières ; par l’in
flation ; par des votes « au petit bonheur » d’impôts
nouveaux ; par l’ingérence de l Etat dans de nombreux domaines où l’initiative privée aurait fait beaucoup mieux ; par l’endettement de la nation et, enfin, par une dévaluation monétaire dont la stabilisation a marqué le point de chute voulu par la spéculation et le désé
quilibre profond qui, chaque jour, apparaît de plus en plus dans les diverses formes de la fortune privée, tant en revenus qu’en capitaux, ainsi que dans les diverses catégories sociales et professionelles de la population.
Aux deux « Semaines de la monnaie » les stabilisateurs représentant les groupements bancaires et quelques consortiums industriels avaient fait miroiter que le lendemain de la stabilisation tous les ennuis, toutes les inéga
lités auraient disparu, non seulement la monnaie serait stable, mais le coût de la vie, les prix de détail, les prix de gros seraient arrêtés dans leur progression ascendante, les cours de la Bourse seraient plus réguliers,
l impôt lui-même serait plus équitablement réparti, la valeur immobilière serait aussi fixe qu’avant-guerre, etc., etc... Or nous n’avons qu’à ouvrir le premier jour
nal venu et voir les cours de la Bourse pour constater combien ces promesses étaient fausses ; le coefficient de dépréciation monétaire légalisé par la stabilisation n’ayant pas été obligatoirement appliqué aux retraites, aux salaires, etc., les valeurs locatives ont dû être régle
mentées et la loi de l’offre et de la demande continue à être faussée ; pour les trois premiers mois de l’année 1929 notre balance commerciale est déficitaire de 3.270 millions, etc... On peut, au recul du temps, constater que les discours échangés à ce sujet tant à la Chambre des Députés qu’au Sénat avaient toujours été aussi creux el n’envisageaient que des théories politiques et non des iéalités et qu’en fait notre vie économique et sociale était à la merci d’une poignée d’hommes des Conseils d’administration de certains groupements industriels et financiers qui constituent le pouvoir réel mais occulte du pays.
Depuis la stabilisation apparaissent peu à peu les bénéfices dissimulés et les réserves accumulées par les banques et certaines industries pendant la période de dévaluation monétaire ; aussi, les actions des Sociétés finan
cières et bancaires ont-elles maintenant une valeur cinq à sept fois supérieure à celle d’avant-guerre, c’est-à-dire une valeur or de 100 à 140 0/0 ; par contre les rentiers de l’Etat, les retraités, les obligataires de ces Sociétés financières et, industrielles ont leur valeur or d’avantguerre dévaluée de près de 50 0/0 ; à eux seuls les créan
ciers de l’Etat ont perdu près de 50 milliards de francsoi et les propriétaires fonciers d avant-guerre plus de 60 milliards de francs-or.
Mais l’impôt sous toutes ses formes s’est accru dans la proportion de 1 à 10 et la charge s’est accumulée aussi bien sur les revenus dévalués que sur les autres ; les inégalités fiscales ont empiré et nous voyons, chaque jour, soit une corporation, soit un groupement demander un dégrèvement ou un allègement. On exige du Mi
nistre des Finances de résoudre ce problème insoluble : diminuer la part contributive de chacun et augmenter les ressources du Trésor pour satisfaire la démagogie des Assemblées parlementaires ! (1). Dans un récent discours (2), M. Henry Chéron, Ministre des Finances, fai
sant allusion aux nombreuses demandes de dégrèvement fiscaux, s’exprimait ainsi :
« — Si notre situation financière apparaît aujourd’hui comme satisfaisante, l’œuvre n’est pas terminée et il faudra la sauvegarder contre la multiplicité des bonnes intentions.
<( Les uns demandent une augmentation des dépenses, d’autres une diminution des recettes, d’autres encore réclament les deux opérations à la fois.
« La bonne volonté et même la bonne humeur du Ministre des Finances se trouvent en ce moment à une rude épreuve...
« ...Mais ce que nous nous interdisons, c’est de jamais compromettre l’équilibre de notre budget et l’aisance de notre trésorerie : c’est de négliger l’amortissement indispensable de l’énorme dette que nous a léguée la guerre. »
El nous ne pouvons qu’applaudir à cette conclusion : Il faut d’abord amortir nos dettes de guerre dans une proportion suffisante pour qu’elles ne grèvent qu’une gé
nération en sus de celle qui a subi la guerre et procéder, non à des dégrèvements, mais à un remaniement com
plet de notre armature administrative et en même temps de notre système fiscal.
Il ne faut pas oublier que la propriété foncière n’échappe jamais aux accroissements des charges fiscales
(1) Voir « Sons le signe de la politique et du désordre parlementaire ». Economiste Européen, 15 mars 1929; — et line appréciation du régime parlementaire, Journal de la Chambre des propriétaires, avril 1929, page 184.
(2) Session du Conseil général du Calvados (22 avril 1929),