Au Salon des Artistes Décorateurs
(.Planches 165 à 170.)
\
E
st-ce une impression ?... Il semble que l’effervescence de ces années dernières se soit calmée et, qu’avant de poursuivre leur route, nos artistes décorateurs éprouvent le besoin de mesurer le chemin parcouru, d’en analyser les étapes et d’en méditer les leçons.
Ce temps d’arrêt, serait à la fois logique et salutaire. Le bouillonnement des cerveaux, s’il est favorable à l’éclo
sion d’idées multiples et originales, ne suffit pas à mener à bonne fin une œuvre d’art digne de ce nom. La gesta
tion, pour en être féconde, exige des efforts soutenus et du temps. Après avoii choisi entre les réactions délicates de la pensée sur l’imagination, ne faut-il pas en effet dégager lentement, par un travail souvent pénible, la forme la plus heureuse qui traduira sans la trahir l’idée retenue, enfin veiller dans tous ses détails à l’exécution
Ce ne sont point là jeux de néophytes. La facilité et l’audace ne suffisent pas pour y triompher. D’aucuns ont pu le croire, parce qu’ils avaient forcé le succès par des procédés brutaux. Tl leur a fallu peu de temps pour se
rendre compte de leur erreur. Leur outrance même les empêchait de se renouveler. Ils ont immédiatement « daté » et, faute d’avoir consenti à prendre le temps d ausculter leur époque, se sont réveillés un matin incapables d’en exprimer le caractère.
Ainsi se vérifie, à de rares exceptions près, la loi selon laquelle ceux-là seuls qui mettent au service de leur ins
piration un travail opiniâtre et une sincérité complète parviennent à s’imposer.
Voyez, par exemple, un Ruhlmann, un Follot. Au cours de leur évolution, ils ont constamment laissé paraître le souci de clarifier, de simplifier, de parfaire. Dès le début,, pourtant, leurs présentations ont rencontré auprès du public une faveur inaccoutumée. Ils se sont gardés néan
moins de suivre en courtisans le gorit du jour. Ils ont visé plus haut, vers ces régions supérieures où la pensée,
libérée des obstacles qu’opposent à son élan une culture mal ordonnée ou une technique hâtive, s’affirme sou veraine, dans des réalisations d’un équilibre complet.
L’an dernier la chambre de Ruhlmann, rose et blonde, constituait un régal de l’œil. Cette année, il a réussi, sur un autre thème, et par des moyens totalement dif
férents, une œuvre maîtresse tout aussi captivante : le Studio-chambre du Prince Héritier, Vice-Roi... à la Cité Universitaire. Dans une pièce, de dimensions royales, chante une symphonie de noir, de blanc et de rouge. Le miroitement de la laque, contrastant avec la matité
des cuirs, la note fraîche d’un Vlaminck, et l’éclat de quelques accessoires et garnitures métalliques, en relèvent discrètement la tonalité sombre. Une carte de
facture ancienne orne le panneau du fond sans couleurs, rien que par la résille des lignes qu’illustrent des figures d’animaux, des dessins de plantes ou d’arbres ou des attributs évocateurs. Au pied, une bibliothè
que règne sur toute la largeur de la pièce. D’un côté, un immense piano à queue, de l’autre un bureau admi
rablement combiné, muni des perfectionnements les plus inattendus, et qui fera rêver plus d’un homme d’af
faires. Les sièges, répartis sur deux magnifiques tapis,
comprennent, entre autres, une chaise longue, gracieuse au possible et pourvue de tous les raffinements pratiques mis à la disposition du décorateur pour assurer notre confort.
La chambre qui complète admirablement le studio, quoique de dimensions réduites, tire de sa sobriété même une certaine grandeur. Un lit bas, recouvert d’une somptueuse fourrure claire, une commode aux lignes pures,
deux sièges, la meublent, et. par une ouverture haute et étroite, s’insinue une lame de lumière, sorte de reflet du jour extérieur, incapable, tant il est discret, de troubler la sérénité de ce coin de repos parfait.
M. Paul Follot a toujours fait « riche ». On le lui a reproché, sans raison valable d’ailleurs, car il s’agit, chez lui d’un don naturel qu’il exploite avec tant de virtuosité et d’éclat que, cette année en particulier, on 11e sait quoi le plus admirer, du résultat acquis ou de la simplicité relative des moyens employés. T.a salle à manger qu’il a composée pour la maison Waring el Gillow ne peut enrichir que la demeure magnifique de quelque lord anglais, qui y réunira des commensaux capables de synthétiser, comme lui, l’immense diversité et la puissance de l’Empire britannique. Tls trouveront sur les admirables panneaux laqués des murs, qui constituent pour ainsi dire l’unique décoration de la pièce, les paysages merveilleux des îles lointaines qu’ils auront visi
tées déroulés sur un fond doré comparable à ceux des anciens vernis Martin. La table et les sièges en bois de sycomore et de corail sont de véritables monuments, un peu lourds peut-être, mais de cette lourdeur qui, grâce à une ligne impeccable, devient de la majesté. Le rouge écarlate qui garnit les fauteuils sert de transition entre le chatoiement mordoré des murs et le ton clair des bois qui s’enlèvent sur un tapis sombre comme en sait composer l’artiste. A noter la cheminée en marbre qu’orne un groupe en bronze de Pierre Traverse, sculp
teur délicat qui allie à une grâce incomparable un sens remarquable de l’équilibre statuaire.
Dans ce dix-neuvième salon, comme dans les précédents, le talent abonde. Quantité d’œuvres le prouvent et méritent à des degrés différents les éloges du pu