Étude sur la valeur locative de la Propriété bâtie




Par Μ. E MICHEL


(Suite. Voir C. M. des 2 juin et-31 mars 1929)


L


a trente-quatrième loi (1) sur les loyers vient d’être votée par le Parlement et dans l’esprit du légis
lateur elle doit marquer la fin d’un régime d’ex
ception et le retour progressif au droit commun. Mais quel que soit le désir de paix sociale qui guide nos parle1
mentaires, il est insuffisant pour leur faire trouver une solution rapide el satisfaisante permettant de liquider
et de résoudre toutes les difficultés qui constituent la crise du logement.
Sur les J 1.500’.000 locaux d’iiabilation ou à usage de commerce qui existaient en France, avant-guerre, on constate que plus de 5.500.000 faisaient l’objet de baux ou locations verbales, soit environ 48 0/0 en nombre et plus.de 55 0/0 en valeur. Il était donc nécessaire, en
raison du grand nombre d’intéressés, que le législateur intervienne pour réglementer les rapports entre locataires et propriétaires qui s’étaient, depuis la guerre, désé
quilibrés du fait de la crise ffconomique et monétaire et, en outre, il était indispensable d’alténuer, dans la me
sure du possible, les répercussions excessives causées par la dévaluation monétaire sur certaines catégoiies de la population. Certes, il aurait été bien préférable d’arrêter antérieurement cette dépréciation, dont une forte pro
portion résultait directement de spéculations boursières et bancaires qu’un Gouvernement énergique et averti aurait pu enrayer en temps utile (2), mais, ainsi que nous l’avons indiqué dans notre précédent article (3), depuis guerre la direction effective des affaires du pays est l’œuvre d’un pouvoir occulte ayant trop d’accointan
ces étrangères, qui agit uniquement dans l’intérêt des groupements qu’il dirige et parmi lesquels ne sont pas
véritablement représentés les intérêts immobiliers. La meilleure preuve est la façon dont la stabilisation moné
taire a été décrétée cl appliquée, ce qui a constitué une spoliation des classes moyennes au bénéfice de certains groupements émetteurs de valeurs mobilières. Cette léga
lisation d’une dévaluation monétaire excessive, a causé une perte d’environ 110 milliards francs-or en majeure partie supportée par les propriétaires fonciers et les pos
sesseurs de fonds d’état d’avant-guerre, ce prélèvement n’a donc porté que sur une fraction de la fortune fran
çaise au lieu d’être réparti uniformément sur loutes les catégories de valeurs qui constituaient cette fortune.
Comme nous le disons ci-dessus, il a principalement et cruellement touché, soit directement, soit par répereus
(1) 30 juin 1929.
(-2) Depuis guerre, la spéculation n’a pas été réprimée comme elle aurait dû l’être et on a longtemps hésité à prendre les sanctions nécessaires, néanmoins, eous la pression de l opinion publique, le Gouver
nement vient d’être obligé d’agir et le 8 juin dernier, à la Tribune de la Chambre des Députée, M. Chéron. Ministre des Finances, a déclaré : « à l’heure actuelle, 126 banquiers sont poursuivis pour ma
nœuvres délictueuses. Ayez l’assurance que cette besogne de nettoyage sera poursuivie jusqu au bout », (8) C. M. du 2 juin dernier,
sion, la masse des petits épargnants, des retraités, des petits propriétaires et certaines professions libérales et intellectuelles, dont les salaires ne sont pas encore adaptés au coût réel de la vie.
Afin de permettre au lecteur de se rendre compte par lui-même et de localiser plus aisément les répercussions de la crise actuelle, nous donnons, ci-après : 1“ le pourcentage du nombre et des valeurs locatives faisant l’ob
jet de baux ou de locations verbales par rapport à la valeur locative totale dans les différentes catégories de communes groupées suivant leur population I (1) (ta
bleau 1) ; 2° la répartition des immeubles existants en .1911 suivant leur nombre de planchers (2) (tableau 2).
La valeur vénale de la propriété bâtie d’avant-guerre n’est pas, actuellement, en rapport avec le coefficient de dévaluation monétaire, puisque, dans l’ensemble, elle ne dépasse pas le coefficient 350 pour 1.00 du chiffre de la période 1910-1914 (3), ç’est-à-dire qu’elle repré
sente, actuellement, moins des 7/10 de sa valeur or (4). Pourtant les propriétés foncières (bâties el non bâties) ont donné lieu, depuis guerre, à de nombreuses spécu
lations, et au moment de la panique monétaire de 1926 et, de l’affolement des porteurs de valeurs mobilières, el
les ont été très recherchées comme valeurs de placement ; malheureusement, le marché immobilier est de plus en plus faussé par les agissements d’une « bande noire »
qui prélève, sur un grand nombre des transactions, des opérations hypothécaires et des locations, une dîme illi
cite beaucoup plus lourde que l’impôt. Ces pourcentages, ces « épingles », ces commissions s’ajoutent pour les ac
quéreurs, au prix de revient et se traduisent toutes par une augmentation du chiffre du loyer, ce qui aggrave la crise. Aussi est-il très regrettable que le Notariat et les Chambres des propriétaires n’unissent pas leurs ef
forts pour combattre tous ces intermédiaires inutiles,
dont un grand nombre d’ailleurs sonl indésirables, et lenter ainsi une politique de rapprochement entre deux classes de déshérités : les petits propriétaires et les locataires des classes moyennes (5).
Parmi les difficultés actuelles, l’une de celle qui a le
(1) D’après les enquêtes du Service des Contributions directes. (2) D’après le recensement de 1911.
(3) Voir La Valeur immobilière, C. M. du 22 avril 192β, et Les Revenus immobiliers, C. M. du 4 août 1928.
(4) La différence, soit environ 3/10° de la valeur d’avant-guerre, représente la contre-partie des valeurs mobilières qui ont été émises pour couvrir les frais de guerre et de restauration des régions dévastées car, ainsi que nous l’avons répété à différentes reprises, si une émission de valeurs mobilières dépasse la valeur de l’épargne libre ou en cours de formation, la différence se prélève forcément sur les autres valeurs mobilières et immobilières existantes.
(5) _« Ces deux catégories de citoyens, les propriétaires d’imineubles « bâtis et les ressortissants des classes moyennes, sont les victimes des « circonstances sociales et économiques du temps présent. Il ne faut « point, sous peine de graves troubles économiques fatalement généra
« lisateurs de troubles sociaux, que ces deux classes restent à jamais « sacrifiées. »
Conférence du 2 juin 1929 par M. Joseph Hild, avocat au Groupe*
ment pour le Commerce et l’Industrie.