PREMIÈRE PARTIE
LA-BAS, au fond de la Grande-Russie, très loin, habitait un vieux moujik1. Sa maison était à l’entrée de la forêt
de bouleaux et de sapins où perchent les coqs de bruyère.
Il avait trois fils.
Danilo, l’aîné, passait pour un gars avisé, comme son père. De Gavrilo, rien à dire. Un garçon quelconque.
Le troisième, nommé Ivane, était un pauvre d’esprit. Aussi le surnommait-on Ivane-Dourak2.
Mais leur besogne ne demandait pas de grande intelligence. A l’automne, on attelait le cheval à la charrue. L’un des frères labourait ; le deuxième semait ; le troisième hersait, ayant soin de bien recouvrir de terre le blé répandu. Puis, l’hiver venait, et ses longues froidures qui rendent impossible tout travail, excepté la coupe des bois.
Aux beaux jours, on faisait la moisson. En ce pays, les étés sont
1. Moujik : paysan. 2. Dourak : imbécile.