Si la vie, eu raison même de ce que l’humanité a de mauvais, et de ce que le monde cache d’énigmatique, n’était pas, dans l’immense majorité des cas, la comédie et la mascarade qu elle est, un pareil esprit serait un fléau, et ne serait même sans doute pas possible; mais l’hypocrisie permanente des choses et des gens eu fait au contraire un bien, et comme une revanche. Rien ne part d un idéal plus haut, et par conséquent d’un principe plus salutaire, que de mettre à nu la dérision de ce qu’on appelle si souvent et si faussement la bravoure, l’honneur, l’amour, la maternité, l’art ou F autorité. Il y a, en somme, très peu de vraie vertu, de vraie noblesse, de vrai dévouement, de vraies vérités, de vraies personnes respectables, de vrais artistes, et le peu que nous en possédons disparaît, la plupart du temps, dans la foule des mensonges, des snobismes et des grimaces. .le vois fort bien ce qu’on me donne pour sérieux, mais je vois fort bien aussi que cela ne l est pas, au nom même de la juste idée que je conçois des choses sérieuses, et j’en conclus que le plus sérieux est peut-être bien de rire de ce qui veut l’être.
Cet esprit-là u est pas aussi moderne qu’il est convenu de le croire, et n’est même, proprement, ni moderne ni ancien, mais éternel. C’est lesprit des bouffons de Shakespeare qui se moquent, sans distinction, des maîtres et des valets, plai
santent leurs propres souverains, goguenardent dans les catastrophes, chansonnent l’orgie et le cimetière, tapent sur les squelettes aussi bien (pie sur les gros ventres, et remettent ainsi, en riant, 1 humanité à sa place, sans pourtant se brouiller avec elle. Ce qui est toutefois à remarquer pour Forain, c’est que cet esprit de
rabaissement hilare n’a jamais eu plus beau jeu qu’aujourd’lmi, car jamais, à aucune époque, pareille parade de poses et de phrases n’a masqué pareille débandade de principes. Il n’existe peut-être plus un seul de ces principes que nous ayons gardé le droit d’invoquer, et tout le monde, pourtant, persiste à invoquer les formules qui les recouvraient. Ces pères, les mères, les enfants, les domestiques, la famille, la religion, la morale, le pouvoir, la charité, sont-ils ce qu ils étaient autrefois / Évidemment non, et rien, ou presque rien, n est changé néanmoins dans les formes sous lesquelles on nous demande toujours de les considérer. On nous a nourris dans le mépris des rois, mais on nous fait honorer des présidents de République. Nous sommes comme d anciens soldats devenus de simples infirmiers, et qui auraient conservé fusage des commandements militaires pour administrer leurs lavements. Nous parlons une langue qui est la perpétuelle satire de ce que nous faisons, et nous n’accom